Dans son émission « Le vrai du faux » sur France info (27 mars), le journaliste Antoine Krempf fait remarquer que de nombreux responsables politiques utilisent une fausse citation de Gandhi. Il fait notamment référence à Nicolas Dupont Aignan qui, la veille, déclarait sur Europe 1, à propos de ses chances pour les élections européennes : « Il y a une très belle phrase de Gandhi : Au début, ils vous ignorent, ensuite ils se moquent de vous, après ils vous combattent et enfin, vous gagnez« . Visiblement fier d’enrôler le libérateur de l’Inde sous sa bannière et ne doutant pas de sa capacité à faire un bon score, il ajoutait : « J’en suis au stade où ils m’ont ignoré pendant beaucoup d’années, ils se sont moqués de moi et ils me combattent. C’est très bon signe, je le prends comme honneur ».
Antoine Krempf indique alors qu’il n’existe aucune trace, aucune preuve que Gandhi soit l’auteur de cette phrase, bien que cela correspondrait assez bien à l’esprit de sa stratégie de non-violence. Il ajoute toutefois qu’une phrase similaire a bien été prononcée par un syndicaliste américain, Nicholas Klein, lors d’un discours en 1918, devant une assemblée de travailleurs du textile à Baltimore : « D’abord ils vous ignorent. Ensuite ils vous ridiculisent. Et après, ils vous attaquent et veulent vous brûler. Mais ensuite, ils vous construisent des monuments. Et c’est ce qui va arriver aux travailleurs américains du vêtement« . Et effectivement, la fameuse citation attribuée à Gandhi est très proche de celle de Nicholas Klein.
Comme le souligne justement Antoine Krempf, l’auteur de la citation compte autant que la citation elle-même, et peu importe finalement que l’auteur invoqué n’en soit pas véritablement l’auteur… « Quand on utilise une citation comme argument dans un débat public, souligne le journaliste de France Inter, l’auteur de la déclaration compte tout autant, voire plus, que son contenu. Citer Gandhi, c’est évidemment faire référence à la figure du sage, à l’autorité internationale de la non-violence, mais aussi au petit qui finit par gagner face aux grands. On comprend que ça puisse inspirer beaucoup de gens ».
France soir sera le seul média, le jour même de la déclaration de Dupont Aignan, à relever son erreur et à ironiser : « Le problème avec les citations d’hommes et de femmes célèbres, c’est qu’elles sont parfois attribuées à tort ». Le journal rappelle que France Info avait déjà pointé du doigt cette confusion sur l’auteur de cette citation (« La phrase que n’a jamais prononcée Gandhi », 4 mars 2016) lorsque Donald Trump lui-même, pendant sa campagne électorale, avait voulu se prévaloir de Gandhi en citant la fameuse citation apocryphe qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux… Mais d’autres candidats, avant Trump, avaient eux-aussi repris à leur compte la fameuse phrase, notamment Bernie Sanders et Hillary Clinton…
Et pourtant…
Et pourtant, il existe bien une phrase de Gandhi, très proche de celle qui lui est généralement attribuée, mais surtout dont la signification, selon moi, est autrement plus importante.
Dans son journal Young India, Gandhi écrit le 9 mars 1921 :
« Tout mouvement qui se respecte passe par cinq phases : l’indifférence, la raillerie, les injures, la répression et l’estime. Nous avons connu l’indifférence pendant quelques mois. Puis le vice-roi s’est aimablement moqué de nous. On vit ensuite à l’ordre du jour se succéder injures et rapports mensongers. Les gouverneurs de provinces et la presse hostile à la non-coopération ont fait de leur mieux pour abreuver d’injures notre mouvement. Nous en sommes pour l’instant à la répression qui jusqu’à présent en est à un stade encore assez modéré. Tout mouvement qui survit à la répression, modérée ou cruelle, commande invariablement le respect, ce qui est synonyme de succès. Si nous sommes fidèles, cette répression peut être considérée comme le signe précurseur de la victoire. Mais, si nous sommes fidèles, il ne faudra jamais nous laisser intimidés, ni, poussés par la colère, faire acte de vengeance et de violence. La violence est un suicide. » (Tous les hommes sont frères, Gallimard, p. 253-254)
En mars 1921, Gandhi vient de faire adopter par le Parti du Congrès son programme de non-coopération non-violente. La résolution numéro un votée à Nâgpur définissait l’objectif et les moyens de la lutte : « L’objet du Congrès National Indien est l’obtention du Swârâj (indépendance) par le peuple de l’Inde par tous les moyens légitimes et pacifiques ». Les 14 000 délégués, hindous et musulmans, ont fait un triomphe à Gandhi que le poète Rabin Tagore avait baptisé, deux ans auparavant, Mahatma, la Grande Ame. Le programme de non-coopération comportait quatre étapes progressives : 1. Le renvoi de tous titres et le renoncement à toute fonction honorifique. 2. Le retrait de tout service du gouvernement, à l’exception de la police et de l’armée. 3. Le retrait de la police et de l’armée. 4. Le refus de payer les impôts. La montée en puissance de l’action de non-coopération devait permettre de maîtriser la dimension non-violente de la lutte.
Dans ce contexte, la phrase de Gandhi est particulièrement signifiante et la chute est incontestablement d’une lucidité remarquable. Car Gandhi sait qu’il faut inlassablement travailler à convaincre ses compatriotes qui peuvent être tentés de choisir la voie de la violence. Un mouvement de lutte non-violente suscite d’abord l’indifférence (une vraie lutte est forcément violente…), puis les moqueries et les insultes de ses adversaires (face à l’extension du mouvement), et enfin la répression (dernier recours du pouvoir pour étouffer la lutte). Car le pouvoir, à un certain stade de la lutte, ne peut plus ignorer la force et l’efficacité de la résistance populaire qui s’attaque à la racine de son pouvoir. La répression atteste que le pouvoir commence à perdre pied. Et c’est à ce moment-là, nous dit Gandhi, que la non-violence prend tout son sens. C’est à l’épreuve de la violence du pouvoir qu’il importe de rester fidèle à la non-violence qui peut alors déployer toutes ses potentialités. Le pouvoir demeure impuissant si, malgré la répression, la lutte se poursuit et que la désobéissance aux lois injustes continue à se développer alors que les prisons sont remplies. Son impuissance est synonyme de victoire pour le mouvement qui ainsi ne peut que susciter le plus grand respect. Si le mouvement bascule dans la violence, s’il tombe dans le piège de la violence tendu par le pouvoir, affirme Gandhi, il meurt, il se suicide. Il se suicide car il aura agi à l’encontre de ses propres intérêts en ayant recours à des méthodes contraires à son éthique et à son objectif, des méthodes face auxquelles le pouvoir répressif a la supériorité des armes.
Nul ne saura jamais si Gandhi, à travers ce texte, s’est inspiré du syndicaliste américain, même si l’on ne peut qu’être frappé par la ressemblance des deux propos. Mais ce qui est certain, c’est que Gandhi qui n’était pas un théoricien, mais un « idéaliste pratique », et dont l’expérience en 1921 repose sur plus de 25 ans de combats, notamment en Afrique du Sud (1893-1914), puis en Inde (à partir de 1914), n’écrivait et ne parlait qu’en rapport avec des faits vécus et avérés. Ce texte de Gandhi ne tombe pas du ciel, il provient d’une conscience profondément ancrée dans les combats de son peuple à qui il a offert une stratégie de lutte collective basée sur les principes de la non-violence la plus active qui soit. Les cinq phases qu’il décrit, il les a vécues, et nous avons pu les visualiser dans d’autres mouvements non-violents de libération.
Saurons-nous tirer les leçons de l’action de Gandhi ? Saurons-nous entendre l’appel de la non-violence comme un appel à la résistance dans la cohérence des moyens avec la fin ? Une cohérence éthique et stratégique, synonyme de responsabilité et d’efficacité.
Bonjour Mr Refalo,
Je découvre avec grand plaisir votre article sur l’origine de la citation sur la non-violence .Ensuite je « tombe »sur celui concernant votre « lettre sur la désobéissance « .Et enfin sur la pétition qui,me semble-t-il ,n’a pas été validée . Alors ,est-elle toujours d’actualité ?
Je ne suis pas enseignant mais en tant qu’éducateur spécialisé à la retraite( active ! ) ,je tenais à marquer mon soutien au corps enseignant et mon adhésion à vos prises de positions sur la liberté d’expression au sens large et très honorable de la formule .
Très cordialement ,
BENMANSOUR Mohammed.
J’aimeJ’aime
bonjour
merci pour vos infos…trés utiles en ce moment..
cordialmt .Christian.
J’aimeJ’aime