Gene Sharp est décédé le 28 janvier 2018. On le surnommait parfois le « machiavel de la non-violence » ou le « Clausewitz de la guerre non-violente ». Pendant plus de soixante ans, il a mené des recherches sur les stratégies non-violentes contre les dictatures et les pouvoirs oppressifs. Ses ouvrages ont influencé de nombreux citoyens aux quatre coins du monde et il a inspiré quantité de mouvements pour la démocratie en Europe de l’Est (révolutions de velours), en Serbie, en Ukraine (révolutions de couleurs), mais aussi dans les pays arabes en 2011. Son manuel « De la dictature à la démocratie« (1993) a été publié et traduit en 34 langues.
Le livre le plus connu de Gene Sharp, Les politiques de l’action non-violente (en anglais The Politics of Nonviolent Action, 1973), offre une analyse politique pragmatique de l’action non-violente comme méthode utilisant le pouvoir dans un conflit. Il y présente 198 actions non-violentes différentes. Son idée centrale est que le pouvoir ne provient pas d’une quelconque qualité inhérente aux leaders d’un pays. Pour lui, comme pour Etienne de la Boétie avant lui, le pouvoir d’un gouvernement ne tient qu’à l’obéissance de ses sujets. Si ces derniers refusent d’obéir le pouvoir n’existe plus. Sharp identifie et analyse les sources du pouvoir : l’autorité, l’adhésion, les compétences, les moyens matériels, les sanctions et les facteurs intangibles. Elles sont les piliers du pouvoir si bien que, lorsqu’elles disparaissent, le pouvoir s’affaiblit et peut même s’effondrer. Ces piliers sont aux mains du peuple qui, s’il le décide et s’organise, peut les ébranler. Ces structures de pouvoir disposent de systèmes spécifiques pour encourager ou obtenir l’obéissance de ses sujets, ex. police, tribunaux, sanctions (emprisonnement, amendes, ostracisme) et récompenses (titres, santé, honneurs)…
Gene Sharp montre ensuite, à partir de l’étude fine des expériences passées, comment des peuples ont réussi à gagner contre de grandes puissances. Il montre l’importance du choix des objectifs de lutte et de la stratégie. Celle-ci est tout à fait essentielle et doit être étudiée et conçue après analyse poussée de la situation. Elle requiert les plus grands soins. Il montre les erreurs qui ont été commises comme aussi les raisons des succès. Tout récemment, la synthèse de ses recherches a été publiée en français dans l’ouvrage « La lutte non-violente, pratiques pour le XXIème siècle » (Ed. Ecosociété, 2015). Pour Gene Sharp, « Aucun pouvoir n’est si fort qu’il le croit… Il faut connaître parfaitement la situation du conflit, connaître en profondeur les techniques de la non-violence, et penser stratégiquement… Les dictateurs doivent commencer à se faire du souci quand la peur disparaît… » (Le Temps, 17 mars 2011)
Gene Shart est le fondateur de l’Albert Einstein Institution, une association sans but lucratif qui étudie et promeut la résistance non-violente dans les zones de conflits actuelles. En 2012, il a reçu le Right Livelihood Award pour « avoir développé et articulé les principes fondamentaux et les stratégies de résistances non-violentes et les avoir diffusés dans des zones en conflit. »
« Je rêve que les peuples opprimés dans le monde soient capables d’apprendre de toutes ces expériences que la lutte non-violente peut être utilisée pour se libérer de l’oppression, pour remplacer les conflits militaires et violents ». Ce sont ses derniers mots dans le documentaire qui lui est consacré : « Gene Sharp, l’alphabet d’une révolution », présenté ci-après.
Le documentaire ci-dessous expose le travail de Gene Sharp et contient de nombreuses séquences de luttes et révolutions non-violentes.
Plusieurs de ces ouvrages ont été tardivement traduits en français ces derniers années par l’Ecole de la paix de Grenoble. J’avais eu la chance de l’entendre à Boston.
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