Tout comme la décroissance, la non-violence est un processus, un chemin et non pas une finalité, encore moins un dogme. Les deux mots « non-violence » et « décroissance », que nous associons volontiers, sont des termes « négatifs » qui existent par ce à quoi ils s’opposent directement : la violence et la croissance. Ils permettent de nommer clairement la démarche de rupture engagée avec l’ordre établi, qu’il soit politique ou économique. Les deux mots expriment la décision et la volonté de sortir des logiques oppressives et mortifères qui fondent les systèmes dominants.
De même que l’éthique de la non-violence s’accorde avec le projet de la décroissance, la démarche de la décroissance est en harmonie avec les finalités de la non-violence. Le mot « non-violence », qui est la traduction par Gandhi du terme sanskrit ahimsa, signifie à l’origine la volonté de ne pas nuire aux êtres vivants. C’est fondamentalement une philosophie et une pratique du respect de la vie, selon la formule d’ Albert Schweitzer. La décroissance, dans son éthique, veut développer des valeurs et des actions en rupture avec celles de la croissance économique : partage, équité, convivialité, simplicité, coopération qui, de fait, impulsent des dynamiques à l’opposé de la logique de la violence. Si la croissance infinie est sources d’injustices, de destructions et donc de violence, la décroissance ne peut que s’accorder avec l’éthique de la non-violence qui est la recherche d’harmonie, d’équilibre, de justice et de fraternité avec des moyens en cohérence avec la fin recherchée.
Il n’est d’ailleurs pas anodin de remarquer que plusieurs grands penseurs de la non-violence ont eux-mêmes été des « précurseurs » de la décroissance : Thoreau, Tolstoï, Gandhi, Lanza del Vasto, pour ne citer que les plus connus, étaient des partisans et des acteurs de modes de vie tendant vers la simplicité volontaire et le respect du vivant.
La démarche de la décroissance pose la question des moyens d’agir. Notre conviction est que la non-violence est le moyen le plus juste pour résister à la croissance, le moyen le plus adéquat pour promouvoir la décroissance. La violence est toujours du côté du pouvoir et des structures économiques oppressives qui soutiennent la croissance infinie et qui se soucient peu du vivant, végétaux, animaux et humains qui souffrent de leurs décisions irresponsables. C’est pourquoi la violence économique soutenue par la violence étatique nécessite pour lui résister efficacement une action radicale, c’est-à-dire qui touche à la racine de leurs structures et à la source de leur pouvoir. La lutte par la violence renforce le système dominant, favorable à la croissance. L’axiome de base « on ne peut plus croître dans un monde fini » peut légitimement être complété par l’axiome suivant : « on ne peut plus être violent dans un monde ultra-violent ». Car faire le choix de la violence, c’est renforcer le système répressif et oppressif de l’Etat et c’est enfermer notre avenir dans la violence destructrice là où il y urgence à l’en délivrer.
La non-violence, en tant qu’éthique et stratégie, offre des leviers et des méthodes de résistance et de transformation au potentiel considérable. C’est de notre capacité à organiser à grande échelle ce combat non-violent basé sur la non-coopération et la désobéissance civile / économique avec les structures qui soutiennent la croissance que dépend la possibilité de transformer en profondeur l’ordre dominant. Cette résistance éthique et politique se conjugue également avec la mise en oeuvre d’un programme constructif et alternatif qui préfigure, ici et maintenant, la société décroissante à laquelle il est légitime d’aspirer. Produire autrement, consommer autrement, vivre autrement dans le respect du vivant, est résistance constructive, éthiquement et efficacement constructive.
Tribune paru dans le Journal La Décroissance, n° 157, mars 2019
Merci pour ce texte très intéressant auquel j’adhère. Pour info voici un article de Michel Potay sur anarkia. (forme d’anarchie basée sur l’amour du prochain sans violence)
http://michelpotayblog.net/207.html/207Anarkia-comments-french.html
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