Alors qu’on lui demandait de célébrer en 1968 le cinquantième anniversaire de « la victoire de 1918 », l’écrivain Jean Guéhenno écrivit : « Il est clair désormais depuis longtemps que mes camarades ne sont morts que parce que l’Histoire est souvent bête et criminelle et ce cinquantenaire ne peut être que la commémoration de la sottise et du crime ». 50 ans plus tard, certains voudraient encore faire du 11 novembre la célébration de la victoire de la France…
Pour ma part, je pense que le 11 novembre et cette immense boucherie humaine que fut la 1ère guerre mondiale devraient nous amener à réfléchir sur notre capacité à consentir passivement à l’innommable, à obéir sans discernement aux ordres d’une hiérarchie criminelle, à accepter docilement d’être les instruments de massacres de gens inconnus sur un terrain de bataille. Comment se peut-il que tant et tant de jeunes hommes aient pu consentir à se laisser sacrifier, à se laisser condamner à une mort certaine ? Pourquoi tant de soumission et d’obéissance inconditionnelle à ces chefs galonnés. Pour quoi ?
Certains évoqueront le « climat » patriotique de l’époque pour tenter de comprendre cet élan collectif et enthousiaste à rejoindre les champs de bataille. Cela est certainement un fait évident au début de la guerre et cela en dit long sur l’embrigadement des esprits aveuglés par une propagande belliciste alimentée par l’Etat et les médias de l’époque. Pourtant, l’hécatombe, très vite, devait ouvrir les yeux sur ce qu’était la réalité vraie de cette guerre. Celle-ci n’était plus une guerre « la fleur au fusil » qui devait se terminer en quelques semaines, mais elle était bien une immense tragédie humaine, où les vies de centaines et de milliers de soldats, chaque jour, étaient fauchées par les mitrailleuses, les obus et les grenades. Les « champs d’honneur », appellation contrôlée d’un militarisme criminel qui envoie les enfants de ce pays au massacre, n’étaient qu’une illusion. Il fallait désormais s’accoutumer aux champs d’horreur.
Aujourd’hui, encore, nous avons peine à comprendre comment cela a pû être possible. Il faut analyser la capacité humaine de soumission à l’autorité pour tenter de comprendre que des millions de jeunes gens aient pu, sans révolte (ou si peu), accepter d’obéir ou dit autrement, ne pas envisager de désobéir massivement à ces ordres criminels. C’est ici que se joue la frontière entre la barbarie et la civilisation. Cette histoire nous renvoie à nos propres choix, non pas hypothétiques en temps de guerre, mais nos propres choix, ici et maintenant, en temps de « paix ».
Que faisons-nous dès aujourd’hui pour nous déshabituer à obéir sans réfléchir, pour apprendre à dire non à l’inacceptable, pour consentir à prendre un minimum de risques pour ne pas se renier totalement, pour être en cohérence avec notre propre éthique ? Sur notre lieu de travail face à des injonctions contraires à l’éthique de notre profession, en tant que citoyen face à des lois ou des projets de loi injustes, que faisons-nous et surtout que ne faisons-nous pas ? C’est aujourd’hui et tous les jours que les leçons de cette innommable tragédie doivent se traduire dans les faits. Pour, toujours, rester un esprit libre. Sinon, demain, dès que les esprits auront abandonné tout désir et toute capacité de penser et de résister, il n’y aura d’autres choix que la servitude consentie qui ouvrira la porte à tous les crimes sur ordre et les inévitables massacres.
Je rends hommage à toutes les victimes de cette guerre infâme, à tous ceux qui ont le pris le risque de refuser d’y aller, à tous les objecteurs de conscience de l’époque et d’aujourd’hui, à tous les « fusillés pour l’exemple » toujours pas officiellement réhabilités (voir notre article ici), à tous ceux qui dans notre histoire si militariste ont dit non à la guerre, l’ont désertée, l’ont refusée en l’assumant, à tous ceux qui ont eu ce courage et qui l’ont payé de leur vie.
Car je crois profondément que la grandeur de notre humanité et son avenir résident dans cette capacité à désobéir pour ne pas être complice du mal, dans cette capacité à désobéir pour vivre en cohérence avec les valeurs de l’humanité, de notre humanité. Je fais ainsi écho à cette réflexion d’André Gide : « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis. Sans eux, c’en est fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à note présence sur terre une justification secrète. Ils sont, ces insoumis, le sel de la terre ». C’est précisément parce que nous avons jadis oublié cette valeur fondamentale que nous pouvons pleurer aujourd’hui, en ce 11 novembre 2018, sur « les morts innombrables », victimes autant de l’abus de pouvoir que de notre « servitude volontaire ».
Quelle crédibilité accorder au discours de Macron sur la paix ? Quant on sait à quoi collabore la France au Yémen en vendant quantité d’armes aux Emirats et à l’Arabie Saoudite ! BIen entendu, pas un mot là-dessus dans les commémorations militaristes de ce matin… Comme le discours sonnait faux quand on avait cela en tête. Et comment ne pas l’avoir en tête ?
Il y a quelques jours, je postais le message ci-dessous à la plupart de mes contacts. Si vous voulez agir, n’hésitez pas aussi à jeter un oeil sur les pages d’Amnesty International France :
https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/yemen-le-rapport-accablant-de-lonu-sur-les-ventes
Mais surtout, regardez bien le documentaire proposé ci-dessous, c’est une première action, un premier engagement… et parlez-en autour de vous !
» Bonjour,
Après plusieurs jours de réflexion, j’ai décidé d’envoyer ce message personnel à un grand nombre de mes contacts. Merci de l’ignorer s’il vous incommode et si c’est le cas, je vous prie de m’excuser. Mais si vous trouvez vous aussi le sujet important, merci de diffuser largement (il s’agit de la plus grande catastrophe humanitaire actuelle en nombre de victimes dépendantes de l’aide internationale).Vous pouvez copier le texte, enlever ma signature et signer par exemple « Des citoyens inquiets »:
Nous vendons des armes à l’Arabie Saoudite… et elles servent à bombarder des civils au Yémen : des enfants de 4 ans sont abandonnés seuls au milieu des décombres de leur habitation en ruine, leurs parents, frères et soeurs massacrés…
Je vous recommande de regarder (vraiment !) ce magnifique documentaire et de le diffuser autour de vous :
Si vous préférez, c’est aussi en replay sur la chaine de télé correspondante.
Macron fait l’autruche sur nos ventes d’armes et se met en colère lorsque des journalistes lui posent les questions qui fâchent … Trump a la franchise fétide d’annoncer clairement que le commerce passera avant le reste… mais leur politique de ce point de vue est exactement la même : « business as usual »… C’est leur seul moteur en réalité. Le seul… derrière plus ou moins de vernis.
Or vendre des armes pour des régimes qui bombardent des civils est interdit par les conventions internationales.
Nos pays sont drogués à la vente d’arme : des milliers d’emplois, des milliards d’euros de contrats. Nous sommes pieds et poings liés à la mort. Il est temps que le politique (pas la politique… je n’y crois plus du tout. Du tout.) nous sorte de cette damnation. Et le politique, c’est nous tous !
L’Arabie saoudite qui s’est encore illustrée par l’assassinat hallucinant d’un journaliste dans son consulat d’Istanbul en Turquie (au grand bonheur du dictateur turc Erdogan qui se délecte de la situation pour donner des leçons au monde entier après avoir enfermé et torturé tout ce que son pays comptait de démocrates…), bombarde le Yemen… pour éviter qu’il ne s’allie avec son ennemi iranien ! Voilà pourquoi des enfants meurent ou deviennent orphelins au milieu des décombres.
Cela dit, le patron le mieux payés de France est celui de Dassault ! Ca tourne assurément très bien de ce côté là…
Le résultat, c’est que tous ces révoltés bien légitimes, tous ces peuples en détresse nous haïssent de plus en plus (on n’oubliera pas que l’attentat de Charlie Hebdo a été commandité depuis le Yémen…), des milliers d’entre eux sont jetés sur les routes de l’exil et de la migration et les électeurs européens prennent peur et votent pour des crétins politiques (Salvini, Le Pen, May, Organ en Hongrie …) des vrais barbares qui piétinent l’humanité, transforment la Méditerranée en cimetière et sont en train de détruire l’un de nos biens les plus précieux : l’Europe de la paix !
On ne pourra rien faire pour sortir des redoutables catastrophes écologiques actuelles (aux conséquences bien pires que celles des deux guerres mondiales réunies…) sans une union européenne. Sans elle, c’est dumping à tous les niveaux et concurrence exacerbée entre touts les Etats Nations et sur tous les thèmes… comme avant 1914 ou 1940 !
L’Europe de Bruxelles est à réformer de fond en comble (sortir du dogme libéral et de l’économisme rigide), certes, mais elle n’est pas à abattre ! Jeter le bébé avec l’eau du bain serait un désastre continental.
Partout les forces néo-conservatrices, rétrogrades, liberticides, réactionnaires, nationalistes, extrémistes et violentes sont en embuscade, prête à s’emparer du pouvoir pour notre malheur à tous. Et nos électeurs se jettent dans leur gueules béantes… les élections européennes ont lieu dans quelques mois.
Agissez, en vous informant et en faisant connaitre cette situation autour de vous, regardez et diffusez ce documentaire pour faire connaitre la situation au Yémen.
Pour une certaine idée du monde et de celui où l’on souhaite que vivent nos enfants, merci !
P.P »
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« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels »
Comme vous je préfère rendre hommage aux objecteurs de conscience !!!
voici un article parmi tant d’autres certainement…
http://multinationales.org/1914-1918-l-essor-des-grands-groupes-industriels-francais-et-allemands
Cordialement
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Merci de nous rappeler la folie des hommes qui font de leurs horreurs un sujet de gloire!
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Un bonjour d’un petit coin d’Ardèche que tu connais Alain ! Comme cela fait du bien de lire (enfin !) un texte de ce gente dans cet océan de commémoration militariste où l’on a même tenté d’engloutir nos élèves. On a résisté ! Pas d’élèves avec les galonnés sans recul suffisant sur cet effroyable embrigadement de 1914 !
Je me suis laissé dire lors d’une conférence de l’historien Benoit Falaize que beaucoup d’enseignants (comme un de le bonne partie de la société ? Et la replongée de 1939 alors ?) sont sortis traumatisés de 14-18 parce que… ils avaient tant contribué à formé des enfants chair à canon patriotes et prêts à tout embrigadement…
Cela a aussi donné le dadaïsme et le surréalisme qui étaient capables (enfin !) de remettre en question toute autorité et le fameux « bourrage de crâne »… toujours d’actualité, peut-être plus que jamais à l’heure des réseaux sociaux collabos de fait (derrière la technique, on se vautre et on rampe… Ellul avait raison : la technique devient autonome et mène le monde arrivée à un certain point… nous y sommes !) qui font les dictateurs et les dirigeants tarés en Amérique, en Russie, chez nous et ailleurs !
Personnellement, comme les collègues de 1918, face à la double et inédite catastrophe écologique (du climat et de la biodiversité), je me demande comment on peut enseigner « comme avant » et ne pas se poser de questions y compris épistémologiques quand on songe à l’Anthropocène ou aux travaux de Descola (Par delà nature et culture) sur notre rapport aux autres vivants et au monde… Il est pourtant évident, évident, que les conséquences de cette double catastrophe écologiques seront bien plus graves que les conséquences des DEUX guerres mondiales réunies, autant en terme d’intensité que de durée, de globalisation et d’irrévocabilité… Notre responsabilité face à l’humanité à venir est insoutenable.
Je suis très sensible à tout ce qui touche à la guerre de 14-18 car pour moi, c’est le début de la fin : soumission aveugle et de masse à une première mondiale, la mise au pas de la science et de l’industrialisation pour la destruction humaine de masse. Une destruction pour la première fois industrielle !
Honneur aux résistants à cette barbarie, aux « fusillés pour l’exemple » (quelle monstruosité révoltante !), aux mutins de 1917 et à tous les objecteurs de cette horreur du capitalisme industriel scientifique !
Macron, à l’ancienne (il n’a rien ni d’innovant, ni de pensée complexe : avec lui, c’est politique « as usual », parfois même plus conservateurs que les plus conservateurs, c’est la vieille France bien poussiéreuse, bien moisie…) préfère réhabiliter … Pétain ! Je connait son rôle en 14-18, ça n’en vaut vraiment pas la peine, même en osant oublier son rôle infâme en 39-45.
Pour ma part, j’ai toujours promis à mes enfants qu’en cas de guerre sur notre territoire, nous fuirons ! Oui, nous fuirons ! Pas question de se laisser massacrer et de massacrer pour des intérêts qui sont ceux de puissants et potentats de tout ordre.
Prenons l’exemple de la Syrie : qu’ont gagné ceux qui sont restés pour résister dans leur pays ? Massacrés une première fois par Bachar puis par l’Etat Islamique puis encore par Bachar et, cerise sur le gâteau, mais cerise de poids, par les bombardements russes (vive la disuasion nucléaire et le Conseil de Sécurité vérouillé par des assassins…)… Ceux qui ont fuit dès qu’ils ont senti que la solidarité internationale les poignardait dans le dos ont eu bien raison !
Ma seule patrie est celle de la vie par dessus tout. C’est la patrie de Giono ! Fut–il injustement accusé de collaboration par les embrigadés de tout ordre à l’esprit étroit. Il n’a fait que défendre la vie.
Alors bien sûr, résistance, sabotage, etc… mais la vie avant tout ! La vie avant les armes !
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merci our cet article ! il m’a perms de mieux comprendre mon objection de conscience de mes 20 ans et mon « insoumission » d’aujourd’hui ! par contre il vient titiller l’anxiété que je peux avoir que ces « sottises et ces crimes » ne reviennent….notre peuple d’aujourd’hui, ne sera-t-il pas aussi prompt à partir la fleur au fusil ? J’avais rêvé d’une « éducation » qui donnerait priorité à la non-violence, à l’entraide, à la symbiose plus qu’à la compétition….élu d’opposition dans une municipalité qui fait sans cesse la publicité du premier de cordée, de la compétition entre les agents communaux, je suis parfois pris de doutes…..!!!
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