Ce samedi 6 juin a eu une résonance toute particulière à Colomiers. Chaque premier samedi du mois, d’ordinaire, le réseau Citoyens pour la paix et le Cercle des voisins organisent une marche et un cercle de silence dans la rue du Centre, pour que les citoyens expriment publiquement leur indignation face aux conditions de détention des sans papiers au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Cornebarrieu, à quelques kilomètres de là.
Pour ce 6 juin, date à la charge symbolique, la volonté des participants étaient d’être présents en solidarité avec tous les migrants de Méditerranée qui vivent des situations dramatiques pour fuir la guerre, l’oppression et la misère. Venant d’Erythrée, d’Ethiopie, de Libye, de Tunisie, du Nigéria, de Centrafrique, etc, ils espèrent atteindre, sur des embarcations de fortune, les côtes européennes, vers nos pays dont les lois rendent leur accueil de plus en plus difficile et incertain. Avant même d’accoster, beaucoup meurent en mer. Près de 2 000 sont décédés noyés ces derniers mois, dans cette mer cimetière qui borde notre pays au sud.
En ce jour, nous avons voulu répondre au cri lancé par Guy Aurenche, président du CCFD-Terre Solidaire : « Jusqu’à quand livrerons-nous à la mer ou au désert ceux et celles que la pauvreté, la guerre ou l’envie ont poussés vers d’autres horizons ? Faut-il se taire parce que les solutions sont difficiles à trouver… et livrer des personnes à la mort ? – Ou accueillir, en nous serrant un peu et en contestant la stratégie européenne exclusivement répressive, comme si celle-ci pouvait décourager ceux qui n’ont pas d’autre choix ? Jusqu’à quand oublierons-nous que nos pères furent des migrants qui sacrifièrent leur vie pour construire notre identité française plurielle et enviable ? Jusqu’à quand accréditer le discours mensonger de l’invasion de l’Europe ? »
Le rendez-vous est place du Lorian, près du cinéma Le Central. A 11h, nous sommes une trentaine à nous rassembler et à nous répartir les tâches. A 11h15, au signal donné par Hélène Dupont, porte-parole du réseau Citoyens pour la paix, la marche s’ébranle dans l’allée piétonne et commerçante du plein Centre. Lente, très lente, silencieuse, digne. La banderole de tête dénonce et questionne : » 1800 morts en Méditerranée depuis le début de l’année… Combien encore ? » Les manifestants portent des pancartes qu’ils brandissent aux yeux des passants : « Et si j’étais né au Burkina ? » » Et si j’étais né en Erythrée ? », « Ce que nous savons, nous ne pouvons le taire », « Des ponts, pas des murs ! »… Un tract est distribué avec ce titre explicite : » Méditerranée : Cimetière marin ! «
Cette rue du Centre est parsemée de portraits de témoins de la non-violence : Martin Luther King, Jacques de Bollardière, Jean-Marie Muller… La marche arrive sur la place où se situe le totem dédié à Gandhi, inauguré en avril 2008. Un grand cercle se forme avec les participants et d’autres personnes qui nous rejoignent. Quarante personnes en silence pendant trente minutes. Un long silence pour interpeller les consciences dans un monde où le vacarme de la violence fait douter du sens de nos existences.
A 11h45, une sonnerie stridente retentit… C’est l’appel en hommage aux femmes, aux hommes, aux enfants qui ont péri en Méditerranée. Une quinzaine de personnes du cercle s’allongent au sol tandis que d’autres les recouvrent d’un drap blanc. Pendant 15 minutes où les passants se demanderont, plus que d’habitude, ce qui se passe en ce lieu, l’action marque les esprits. Les photographes ressentent même une forte émotion. Tant d’images qui se télescopent et qui en rappellent bien d’autres, vues et revues, sur nos écrans de télévision. L’impact du « die-in » est réel. Ceux qui sont recouverts d’un tissu blanc ne voient plus rien, mais entendent les questions, parfois très fortes, des passants, des enfants… Mais le silence domine, il recouvre de sa force les bruits habituels, dérisoires du monde de la consommation. Point de discours à l’issue du die-in. L’action a suffisamment parlé d’elle même.
Depuis plus de 10 ans, à Colomiers, dans la rue du Centre, les « Citoyens pour la paix » se mobilisent de façon originale. Cette action publique a démarré en mars 2003, quelques semaines avant le début de la guerre en Irak. Pendant deux mois, chaque samedi, et pendant une heure, des dizaines de personnes restaient debout, alignées, en silence pour dénoncer la guerre à venir et interpeller les consciences. Une action citoyenne fédérative qui culminera le 16 avril 2003 avec l’organisation d’une colombe humaine de la fraternité avec 350 personnes sur la toute nouvelle place de l’Hôtel de ville.
Pendant cinq ans, chaque mois, l’action » 1 heure de silence pour la non-violence » se prolongera. Elle aboutira à la réalisation d’un « Parcours de la non-violence » dans cette rue du Centre. Le 4 avril 2008, 200 personnes, en présence de Rajagopal, leader des paysans indiens sans terre, et de José Bové, inaugurent, dans une vaste chaîne humaine, cette allée de la non-violence unique en France. C’est à partir de cette date que l’action mensuelle deviendra une marche en faveur des sans papiers et contre le Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu. Nous exprimons ainsi notre désaccord avec les méthodes trop restrictives d’accueil des étrangers qui brisent les familles en enfermant pères ou mères au CRA avant leur expulsion du territoire français. La marche de l’espoir a lieu chaque premier samedi du mois à Colomiers à 11h. Pour ne pas oublier, pour rester vigilants, pour continuer à dénoncer et espérer.
Merci Alain ton article est excellent.
Hélène
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