9 juillet 2009 : il y a 10 ans, le procès de l’instit rebelle de Colomiers…

Mercredi 24 juin 2009, 8h30. La matinée est libérée des élèves. C’est notre dernier conseil des maîtres de l’année. Je descends de ma classe située au 1er étage pour rejoindre la salle des maîtres. Au rez-de-chaussée, une personne me salue et me demande si je suis bien Alain Refalo. Je lui tends la main en répondant par l’affirmative. C’est une huissière de justice qui me remet une lettre recommandée en provenance de l’inspection académique. Objet : « convocation devant le conseil de discipline le jeudi 9 juillet à 15h à l’inspection académique, salle de l’Ordre des Palmes académiques, afin d’examiner les faits qui vous sont reprochés : refus d’obéissance, manquement au devoir de réserve, incitation à la désobéissance collective, attaque publique contre un fonctionnaire de l’Éducation Nationale. »

Ce n’était pas vraiment une surprise, mais la forme de cette convocation a de quoi choquer ! L’Inspecteur d’Académie avait confié une semaine plus tôt à Laurent Cadreils du SNUipp qu’une procédure disciplinaire était imminente à mon encontre. Restait à connaître la date. Début juillet, cela paraissait un peu court, la loi prévoyant que la convocation soit adressée au moins 15 jours avant la date de la commission. Fin août était plus probable… Avec un délai courant du 24 juin au 9 juillet, la loi a donc été rigoureusement respectée tout en me donnant le moins de temps possible pour préparer ma défense pour une convocation une semaine après le début des vacances scolaires…

Dans l’après-midi, un communiqué du Mouvement des enseignants du primaire en résistance est diffusé largement aux médias locaux et nationaux. « Le Mouvement des enseignants en résistance pédagogique s’insurge contre cet acharnement démesuré qui vise à briser un enseignant qui n’a fait qu’agir en conscience, en toute transparence et sans faux-fuyants, pour ne pas être complice des réformes destructrices du service public d’éducation. Cette décision est d’autant plus injuste que l’inspecteur d’académie avait affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y aurait pas de sanctions disciplinaires à l’encontre d’Alain Refalo. Nous dénonçons une entreprise politique qui vise à criminaliser la désobéissance pédagogique alors qu’elle est une action collective qui appelle un dialogue constructif avec l’administration ». Le communiqué annonce qu’un comité de soutien, présidé par Patrick Jimena1, se réunira dès le vendredi 26 juin à Colomiers. Christian Navarro, responsable syndical au SNUipp, interrogé par Médiapart quelques jours plus tard, déclarera : « Nous sommes à peu près sûrs que le dossier à charge a été concocté par les services juridiques du ministère. La lecture des charges est assez terrifiante et donne l’impression que l’inspection académique s’est transformée en tribunal militaire, mais au final le dossier ne contient pas grand-chose puisque Alain Refalo a fait toutes ses heures de service ».

Le SNUipp 31 se mobilise rapidement, informe ses adhérents et prépare une pétition en ligne unitaire. Qui verra finalement la défection incompréhensible du Syndicat des Enseignants (SE-UNSA) alors que celui-ci s’était associé au début de l’année à une pétition qui exigeait clairement qu’il n’y ait aucune sanction disciplinaire à mon encontre. En 15 jours, la pétition recueillera près de 6 000 signatures. Celle initiée par l’école Jules Ferry sera signée manuellement par 1 500 personnes de Colomiers et des environs. Le Café pédagogique, site d’informations sur l’actualité éducative, particulièrement bien en vue chez les enseignants, dénonce dès le lendemain, par la plume de son rédacteur en chef François Jarraud, « les procès en sorcellerie pédagogique » intentés contre des « enseignants jouissant d’une forte réputation parmi leurs collègues ». Il exhorte Luc Chatel, nouveau ministre de l’Éducation Nationale, à stopper les procédures engagées, rappelant que ces sanctions sont inefficaces, qu’elles renforcent le sentiment d’injustice, et qu’elles vont forcément susciter des mobilisations dans les départements concernés.

Le comité de soutien, réuni le vendredi 26 juin, rassemble plus de quarante personnes dans les locaux du Centre de ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées. Deux rassemblements sont programmés, le 2 juillet à Colomiers et le 9 juillet devant l’inspection académique. Un groupe travaillera spécifiquement sur la communication avec les médias. Un autre se chargera de confectionner des panneaux qui « habilleront » très rapidement les grilles de l’enceinte de l’école Jules Ferry. On sent déjà lors de cette réunion que la mobilisation va rapidement monter en puissance d’autant que le temps est compté. Je prends contact avec le cabinet de François Roux, l’avocat montpelliérain spécialiste de la désobéissance civile et que j’ai déjà croisé à plusieurs reprises ces dernières années dans des colloques et des réunions, mais aussi sur le Larzac… Alain Mila, l’avocat toulousain avec qui, à cette date, nous préparons un recours au Tribunal Administratif concernant les retenues de salaire2, fera également partie des défenseurs. Et bien sûr l’ami Jean-Marie Muller qui s’est immédiatement proposé. J’appelle aussitôt Didier Magnin, président de l’association Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui pour l’informer de la situation. C’est lui qui organisera en quelques jours avec ses amis l’opération des « anciens Résistants » dont nous dévoilerons la lettre de soutien la veille de la commission disciplinaire. Tous les réseaux associatifs, citoyens, syndicaux, politiques de la région sont très rapidement informés et mobilisés. Les messages de soutien affluent.

« Tartuffe, je te vois… »

La première personnalité à donner de la voix est Pierre Frackowiak dès le 26 juin. Dans une tribune publiée sur le site du Café pédagogique, l’inspecteur à la retraite s’interroge : « Faut-il transformer l’inspection académique de la Haute-Garonne en tribunal militaire ? ». « Cette mesure est choquante à bien des égards, s’indigne-t-il, et le nouveau ministre s’honorerait en rappelant à ses cadres que l’Éducation Nationale est le lieu privilégié de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de la pensée divergente, de la démocratie et de son apprentissage, de la liberté pédagogique inscrite dans la loi ». Il poursuit avec le recul de celui qui en a vu beaucoup dans sa carrière : « Jamais dans l’histoire contemporaine de l’école (depuis 1940), de telles pratiques n’ont été observées », rappelant au passage avec force d’exemple les nombreux cas de désobéissance, parfois ouverte, d’enseignants qui n’ont jamais été sanctionnés. « Il serait temps, conclue-t-il, que le ministère se prononce sur ces dérives autoritaristes du système, reprenne le dialogue et la réflexion sur la pédagogie et sur les politiques éducatives globales ». La seconde personnalité à s’exprimer avec force est André Ouzoulias, professeur à l’IUFM de Versailles, qui offrira au blog Résistance pédagogique, un texte au titre provocateur « Tartuffe, je te vois… Pour Alain Refalo, maître à Colomiers, ami de Molière ». Ouzoulias rappelle tous les bienfaits de la pratique du théâtre et démonte point par point tous les chefs de l’accusation. « Ce qui gêne le pouvoir, affirme-t-il, ce n’est donc pas qu’Alain Refalo désobéisse. Le scandale est qu’il le fasse publiquement. Le pouvoir se comporte en Tartuffe : « Le scandale du monde est ce qui fait l’offense. Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. » Le 9 juillet, si Luc Chatel n’intervient pas, Alain Refalo se verra demander d’abjurer sa foi pédagogique dans le théâtre par l’inspecteur d’académie de Toulouse. Les participants à cette commission disciplinaire auront certainement de la compassion pour ce haut fonctionnaire quand la défense lui rappellera qu’au même moment, à la même latitude, à moins de cent lieues vers l’Est, commence le festival d’Avignon… »

Le jeudi 2 juillet, sur la place Joseph Verseilles, la place de la Résistance de Colomiers, face au bâtiment de l’inspection de l’Éducation Nationale, 250 personnes se rassemblent à l’appel du comité de soutien. De nombreux columérins sont venus, amis, enseignants, parents d’élèves, citoyens, acteurs associatifs et syndicaux, élus de la ville qui prendront la parole. C’est un moment important qui amorcera la mobilisation massive du 9 juillet. Patrick Jimena, président du comité de soutien, saura trouver les mots justes, lui qui est directeur d’une association de prévention spécialisée sur la ville, pour s’étonner de cette convocation en commission disciplinaire alors que je n’ai pas commis de vol, brûlé de voitures, détourné de fonds, mais que j’ai agi en conscience au regard de vingt années d’expériences et d’engagement citoyen. Prenant une nouvelle fois la parole pour expliquer la signification de cette action de désobéissance pédagogique, je dénonce « un procès politique décidé par le pouvoir politique, le procès de la désobéissance collective de milliers d’enseignants en résistance ». Au-delà de cette désobéissance, il ne s’agit rien moins que de bâillonner l’expression publique des fonctionnaires enseignants, de leur refuser tout engagement militant et citoyen sur la place publique, de leur interdire tout droit au dissentiment, à la contradiction, de les empêcher tout simplement de penser et de raisonner. Je prends alors l’engagement de ne rien céder et je termine mon intervention en ces termes : « Ils ont cherché à acheter notre conscience en nous privant de notre salaire et nous avons tenu bon ; ils ont tenté de nous faire rentrer dans le rang en nous privant des promotions auxquelles nous avions droit et nous avons tenu bon ; ils ont tenté de nous culpabiliser en affirmant que nous refusions d’aider les élèves en difficulté et nous avons tenu bon ; ils vont essayer de nous briser professionnellement par des sanctions disciplinaires disproportionnées ; je vous le dis, nous allons tenir bon, je vais tenir bon et nous ne lâcherons rien ! Car au final, j’en suis convaincu, j’en suis intimement convaincu, au final, dans la persévérance, dans l’endurance, dans la fidélité à nos valeurs, ce combat portera ses fruits ». Les longs applaudissements qui suivront mon intervention font instantanément écho à ceux de l’amphithéâtre du Mirail, du plateau des Glières et me soutiendront jusqu’au 9 juillet, alors que je suis épuisé physiquement. C’est le premier jour des vacances scolaires, mais celles-ci attendront…

Lundi 6 juillet, les témoignages de soutien continuent à parvenir au comité. Pierre Cohen, député-maire de Toulouse fait savoir qu’il sera présent lors du rassemblement du 9 juillet à l’inspection académique. Un communiqué commun des groupes de la majorité municipale de Toulouse dit « comprendre le mouvement de désobéissance des instituteurs ». « Nous saluons leurs actions, précise-t-il, car elles s’inscrivent dans une volonté de solidarité, de lutte contre l’individualisme et contre l’appauvrissement des enseignements scolaires ». Le même jour, l’Appel des Appels Midi-Pyrénées écrit aux élus de la région : « Nous soutenons les enseignants des écoles dans leur mouvement de résistance pédagogique contre ceux qui ont décidé de faire disparaître tout débat de l’enseignement, d’exiger une obéissance aveugle des enseignants à des normes qui opèrent comme des diktats. Ceux-là confirment qu’ils veulent faire de l’école une institution de la soumission et de la contrainte, allant à l’encontre des valeurs de liberté, de dignité, d’égalité et d’autonomie du citoyen qui font l’honneur de la République. Comme des milliers d’enseignantes et d’enseignants, nous voulons une école qui offre à chacun de nos enfants les meilleures conditions d’accès au savoir étant entendu que la liberté de penser est une des conditions de la démocratie ». Le communiqué interpelle directement les élus : « Vous êtes des représentants de la République et de ses valeurs et nous ne doutons pas que vous partagiez notre indignation. Qu’entendez-vous faire contre de tels abus d’autorité qui confisquent notre citoyenneté à tous et s’immiscent aujourd’hui partout ? » En fin d’après-midi, je quitte Toulouse pour Marseille, afin de rejoindre la rencontre nationale des Enseignants en résistance organisée opportunément à l’occasion de la convocation le mardi 7 juillet d’Erwan Redon en commission disciplinaire. Le Monde daté du mardi consacre un important article sur l’affaire des sanctions en cours.

Le matin du 7 juillet, sur la place de la Cannebière à Marseille, je participe à une conférence de presse publique aux côtés de tous les enseignants sanctionnés récemment ou en voie de l’être. Je réaffirme lors de cette conférence que si le ministère décidait de mettre un coup d’arrêt à ce mouvement en le frappant à sa tête, il commettrait une lourde erreur, car nous ne cèderions pas. La mobilisation du jour autour d’Erwan Redon, la présence de nombreux médias contribuent à amplifier la pression autour de la commission disciplinaire du 9 juillet à Toulouse. Ce même jour, Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, monte au créneau par un courrier, rendu public, adressé à l’inspecteur d’académie de la Haute-Garonne. Il insiste tout particulièrement sur le grief retenu de manquement au devoir de réserve. Pour lui « cette notion n’existe pas dans la loi ». Son message est clair : « Quelles que soient les appréciations que chacun peut porter sur l’opinion exprimée par Alain Refalo qui, pour la FSU entre en résonance avec l’état d’esprit de la profession et plus généralement de la communauté éducative, le sanctionner pour délit d’opinion, serait particulièrement inadmissible et créerait un précédent grave pour le droit syndical et plus largement les droits et les libertés des fonctionnaires ». Il rappelle lui aussi opportunément qu’il y a bien deux poids deux mesures quant au traitement qui m’est réservé et l’absence de réactions institutionnelles vis-à-vis d’enseignants tels Marc Le Bris qui « se faisaient gloire de ne pas appliquer les méthodes d’apprentissage prévues par les textes » et qui ont bénéficié par la suite de promotions par les ministres de l’Éducation Nationale. On n’en demandera pas tant lorsque la reconnaissance viendra pour ce combat pour l’école publique, simplement que justice nous soit rendue…

L’appel des Résistants

Le 8 juillet, nous mettons en ligne sur le blog Résistance pédagogique l’appel de soutien signé de Raymond Aubrac, Résistant, membre de l’Etat Major de l’Armée Secrète, ancien préfet, de Walter Bassan, Résistant, déporté, promoteur du « concours de la Résistance » pour les scolaires de Haute-Savoie, et de Stéphane Hessel, Résistant, déporté, ambassadeur de France3. « Nous souhaitons témoigner qu’il est divers moments dans une vie d’homme où assumer ses convictions et les faire partager à d’autres est une nécessité impérieuse. Alain Refalo exprime qu’il vit un de ces moments-là. Quels que soient les différends de l’administration avec ce fonctionnaire, nous ne comprendrions pas qu’elle ne reconnaisse pas cette dimension essentielle pour notre pays : pour former des futurs citoyens libres et conscients, il ne faut pas des enseignants muets et incolores mais des éducateurs citoyens ». Le texte évite tout amalgame et toute comparaison anachronique déplacée. Il se situe sur le plan des valeurs et de l’engagement. Cette lettre ouverte adressée à l’inspecteur d’académie de la Haute-Garonne la veille du jour J contribuera grandement à alimenter l’intérêt médiatique pour le 9 juillet. Dans la bataille de la communication, nous avons indéniablement marqué des points qui aboutiront au succès de la mobilisation le lendemain. D’autant que Luc Chatel, interrogé sur France Inter, déclare ce jour « qu’il n’y a pas de raison de mettre fin aux poursuites » dont font l’objet certains enseignants-désobéisseurs. « Il ne s’agit pas de faire des martyrs mais de mettre en œuvre des procédures prévues ». La fermeté est affichée, mais l’embarras est bien réel. En début d’après-midi, je quitte la réunion des enseignants en résistance à Marseille pour rejoindre Toulouse. Les radios accordent déjà une belle place à l’affaire. Direct sur Europe 1 le matin, puis sur RMC à midi. Le trajet est entrecoupé d’interviews au Figaro, l’Express, La Dépêche du Midi, France Culture, Sud Radio. En arrivant, j’ai rendez-vous avec Edward Cody, correspondant à Paris du Washington Post qui publiera un important article dans l’édition du samedi 11 juillet.

Le jeudi 9 juillet, La Dépêche du Midi consacre une page au conseil de discipline de l’après-midi, avec interview, photo et la mise en avant de la lettre des Résistants. Toutes les radios évoquent l’affaire. Le Figaro et La Croix publient des articles en insistant sur les menaces de sanctions à l’encontre des désobéisseurs. A 9h30, je retrouve Jean-Marie Muller arrivé la veille d’Orléans. Nous nous rendons au siège du SNUipp à Toulouse où se tient une réunion de cadrage avec les défenseurs, les avocats Alain Mila du barreau de Toulouse et Nicolas Gallon du barreau de Montpellier, associé de François Roux qui n’a pu, pour des raisons familiales, suivre l’affaire, les témoins au nombre de six4 et des représentants syndicaux du SNUipp et de Sud Education. Nous réglons les derniers détails pratiques avant d’aller nous restaurer et affronter cette épreuve qui promet de durer. Nous ne serons pas déçus…

A 14h, j’arrive à proximité de l’inspection académique, accompagné de mes trois défenseurs. C’est très impressionnant. Plus de 500 personnes (la police et les syndicats en sont d’accord) sont massées devant l’entrée de la cité administrative « protégée » par des CRS. Une banderole domine toutes les autres par sa taille et son message : « Dès que quelqu’un comprend qu’il est contraire à sa dignité d’homme d’obéir à des lois injustes, aucune tyrannie ne peut l’asservir ». Une phrase de Gandhi, certes un peu décalée, mais qui donne le ton… Je ne peux m’avancer vers la sono du fait de la barrière des micros et caméras qui s’est constituée devant nous. Faire passer le message, être court, clair et précis. Dans l’effervescence du jour, ce ne sera pas forcément le cas, mais les formules sont désormais rodées. J’indique que « je suis tout à fait serein et déterminé, et que j’ai beaucoup d’explications à donner » car « l’année scolaire écoulée n’a pas permis un réel dialogue avec l’administration5 ». J’ajoute que « nous allons poursuivre cette résistance car nous ne pouvons pas continuer à nous renier et être complices de dispositifs porteurs d’un esprit individualiste6 ». Nous avançons vers la sono. Je reconnais les nombreux enseignants-désobéisseurs que j’ai quittés hier à Marseille. Certains sont venus de très loin, de l’autre bout de la France. Je croise le regard d’un ami de la région parisienne perdu de vue depuis 20 ans. Et puis, beaucoup d’enseignants que j’ai côtoyés cette année à Toulouse dans de multiples réunions et actions communes, des parents d’élèves de la classe, de la FCPE, et du Collectif 31 qui n’a cessé de se démener pendant des mois à travers des actions spectaculaires, notamment des marches aux flambeaux sur la ville qui ont réuni plusieurs milliers de personnes pour la défense de l’école publique ; également des adhérents du Centre de ressources sur la non-violence, et puis de nombreux inconnus ou d’amis que je ne reconnaîtrai que par la suite sur les photos… Un jeudi 9 juillet, à 14h, que tant de personnes soient réunies était déjà un vrai pied de nez à cette convocation que le ministère aurait certainement voulue plus discrète pendant les vacances scolaires… L’émotion est palpable quand Patrick Jimena prend la parole pour le comité de soutien. Quelques instants plus tard, Pierre Cohen, le maire de Toulouse, s’avance et je lui dis combien je suis heureux et honoré de sa présence. Dans sa prise de parole, il affichera son « soutien sans condition » à mon action et à l’action de tous ceux qui défendent le service public d’éducation. « Cet acte de résistance, ajoute-t-il, s’inscrit bien dans ce qui correspond aux attaques successives de tous les services publics, notamment dans les lois sur l’université et l’hôpital7 ». Il conclura en ces termes : « Nous soutiendrons la résistance au délabrement de l’école. Nous serons toujours derrière vous8 ». Georges Méric, vice-président du Conseil Général est également présent. « L’école de la République est en danger, déclare-t-il, il faut que nous fassions bloc autour de vous et que par cet abcès nous déconstruisions cette loi scélérate ». Quasiment les mêmes termes qui me valent le reproche de manquement au devoir de réserve et d’incitation à la désobéissance collective… S’exprimeront de nombreux orateurs, du syndicat SNUipp, de la FSU, du SGEN-CFDT, de la Ligue des droits de l’homme, de RESF, du Mouvement des enseignants en résistance par la voix de Diane Combes, d’Eguilles dans les Bouches du Rhône, la toute première enseignante sanctionnée financièrement avec Bastien Cazals pour son action de désobéissance pédagogique.

La parodie de justice

Il est presque 15 h, Patrick Jimena me presse de m’avancer vers l’entrée de la cité administrative où il faut montrer patte blanche. Les témoins doivent décliner leur identité et ont même quelques difficultés à pénétrer dans l’enceinte. Les applaudissements et les encouragements sont nourris, tandis que nous nous dirigeons vers l’entrée de l’Inspection académique. Cette commission disciplinaire, dont nous ne ferons pas ici un récit exhaustif a duré plus de neuf heures. Elle a été organisée en dehors de toute règle élémentaire de droit comme l’ont souligné en préalable, les deux avocats Alain Mila et Nicolas Gallon. Ces derniers ont dénoncé l’absence d’impartialité de cette instance dans la mesure où l’inspecteur d’académie y concentre toutes les fonctions et tous les pouvoirs. C’est lui en effet qui déclenche la procédure disciplinaire en saisissant le conseil de discipline sur la base d’un rapport qu’il rédige. C’est lui qui me convoque, qui tient les fonctions de rapporteur, qui organise les débats, qui interroge les témoins cités par lui, et qui décide de la sanction disciplinaire finale. Est ainsi nié le principe d’impartialité auquel tout individu a droit et qui est garanti par l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme en ces termes : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un Tribunal indépendant et impartial ». Le caractère impartial rend ainsi incompatibles les fonctions de poursuite et de jugement lorsqu’elles sont exercées par une seule et même personne. Les avocats souligneront que cette impartialité est d’autant plus compromise que l’inspecteur d’académie a déjà statué sur une partie des faits qui me sont reprochés en prononçant des retenues de salaire.

Un autre aspect de la procédure disciplinaire sera vigoureusement dénoncé par les avocats. Il s’agit de l’absence de communication du rapport disciplinaire à l’accusé et à ses défenseurs. Je n’ai en effet reçu que la lettre de convocation avec la liste des quatre motifs, mais pas le rapport disciplinaire détaillant les faits qui me sont reprochés. Seuls les membres de la commission (représentants de l’administration et représentants du personnel) reçoivent ce rapport qui est lu en début de séance. Cela est en totale contradiction avec les exigences de l’article 6-3 de la Convention européenne des droits de l’hommes qui stipule que « tout accusé a droit d’être informé d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ». En l’absence de communication du rapport disciplinaire, il est impossible de préparer une défense digne de ce nom le jour de la commission qui devient ainsi un tribunal de l’inquisition où les droits de la défense sont quasi nuls.

Dans mon intervention préliminaire, je m’attacherai à démonter les quatre points de l’accusation. Sur le refus d’obéissance, j’ai expliqué que j’avais détourné, non pas la finalité du dispositif de l’aide personnalisée comme cela m’est reproché, mais les modalités d’application de ces deux heures, au nom de la liberté pédagogique, tout en gardant le cap sur l’objectif prévu par le dispositif. J’ai ainsi vanté les bienfaits de l’atelier théâtre sur les élèves en difficulté tout en rappelant que sur les 24 heures obligatoires, j’avais organisé des ateliers de soutien et d’aide personnalisée en utilisant toutes les potentialités du groupe-classe. Sur le manquement au devoir de réserve, il n’y avait pas grand-chose à dire car je me suis toujours exprimé en dehors des heures de travail et sur des sujets qui n’avaient rien à voir avec « le secret professionnel » auquel nous sommes assujettis. Ce secret auquel nous sommes tenus ne nous empêche nullement de donner notre opinion sur des lois et des décrets ou sur des décisions prises par des inspecteurs. Dans la loi du 13 juillet 1983, la notion de « devoir de réserve » n’existe pas, pas plus que dans le statut général des fonctionnaires de l’Etat et des collectivités locales. Seuls les « fonctionnaires d’autorité » sont tenus à une obligation de réserve. Sur l’incitation à la désobéissance collective, ce reproche ne repose également sur aucun fondement juridique. Rien dans la loi n’interdit à appeler à désobéir ces collègues ou ses concitoyens. En vérité, ce qui est mis en accusation, ce n’est pas tant d’avoir incité à désobéir que d’avoir été suivi par de nombreux enseignants. Sinon pourquoi avoir attendu neuf mois après la publication de la lettre du 6 novembre et d’un article intitulé « Yes, we can ! 9» sur le blog Résistance pédagogique pour me traduire devant cette commission. Quant au dernier point, l’attaque publique contre un fonctionnaire de l’Education Nationale, en rapport avec ma seconde lettre à l’inspecteur du 23 mars, j’ai rappelé le contexte de cette lettre, la blessure que j’avais ressentie et l’indignation qu’elle avait suscitée. J’ai rappelé que les rapports entre l’inspecteur et moi-même avaient toujours été respectueux et cordiaux. J’ai alors exprimé mes regrets à la commission d’avoir publié cette lettre si les termes utilisés avaient blessé l’inspecteur auprès duquel je me suis excusé lorsque celui-ci est venu témoigner. Il a accepté mes excuses et m’a alors remercié. Malheureusement, à la question de Jean-Marie Muller lui demandant s’il ne jugeait pas que ces écrits n’étaient pas allés trop loin dans le jugement contre l’instituteur, il ne répondra pas, car l’inspecteur d’académie répliquera en affirmant que l’inspecteur n’était pas l’accusé…

Lors de cette commission, les défenseurs, les témoins, l’accusé ont été poliment et longuement écoutés, mais nullement entendus. Les représentants de l’administration sont restés muets. Pour l’essentiel, c’est l’inspecteur d’académie qui s’est exprimé, posant les questions et répondant aux demandes des défenseurs ou des représentants du personnel, empêchant ainsi un véritable débat contradictoire, approfondi, diversifié et soucieux de la recherche de la vérité. Non seulement les membres de cette commission étaient juges et partie, mais les votes étaient acquis d’avance dès lors que les représentants de l’administration sont obligés à un vote de fonction et non à un vote de conscience. En ce sens, cette commission a constitué une parodie de justice. Elle fut finalement à l’image du grand mépris que le ministère a affiché durant toute cette année à notre encontre, mépris doublé d’une volonté de minimiser ce mouvement tout en le caricaturant. Les charges retenues contre moi tout autant que les arguments pour les justifier témoignent finalement de l’incapacité du « mammouth » à se remettre véritablement en question.

Peu après 22 h, en sortant de la commission, alors qu’une trentaine de personnes sont encore présentes devant l’entrée, je reçois un appel de François Jarraud du Café pédagogique. Je lui transmets mes premières impressions : soulagé et serein. « On a pu s’exprimer longuement et je trouve cela très positif. J’ai pu argumenter sur le terrain pédagogique, expliquer par exemple que je fais bien du soutien par le travail de théâtre que j’ai mis en place. J’ai pu montrer que ses effets sont bénéfiques. » Je lui indique mes dernières paroles prononcées lors de la commission : « J’ai agi en conscience. Je ne le regrette pas et j’ai toujours foi dans l’Éducation Nationale11 ».

Le lendemain matin, La Dépêche du Midi accorde une large place à la mobilisation de la veille. C’est d’ailleurs le dernier reportage, pour cause de départ à la retraite, de Martine Cabane, la journaliste en poste à Colomiers qui avait annoncé l’affaire de la lettre de désobéissance au mois de novembre. « C’était très émouvant », m’a-t-elle confié, heureuse de terminer sa carrière sur cet événement. Vers 9h, je reçois un coup de fil de l’AFP. France Info vient d’annoncer que je serai « rétrogradé ». Etonné, je réponds que la décision n’a pas encore été prise et qu’elle appartient à l’inspecteur d’académie. Je lui signale que cela paraît peu probable car il s’agirait d’une sanction de catégorie 312 qui n’a pas été mise au vote lors de la CAPD. En fin de matinée, l’inspecteur d’académie tient un point de presse. Il informe que la décision sera rendue avant la fin du mois de juillet. Il précise qu’il a proposé au vote de la commission « de démarrer par la sanction la plus haute du 2ème groupe, c’est-à-dire le déplacement d’office, au motif de « faute lourde » » et qu’aucune sanction n’a recueilli une majorité de votes. Il indique cependant qu’il souhaite « s’inscrire dans une situation d’apaisement » et que « tout le monde puisse raison garder ». Interrogé par Véronique Soulé de Libération, j’indique mon sentiment du jour : « Je ne suis pas optimiste et m’attends à une sanction sévère ». Le lendemain, La Dépêche du Midi veut croire aux propos de l’inspecteur d’académie et affirme que nous nous dirigeons vers « une sanction modérée »…

Jeudi 24 juillet, soit quinze jours plus tard, le facteur me remet une lettre recommandée de l’inspection académique de la Haute-Garonne. Il s’agit de la notification écrite de la sanction qui fait suite à la commission disciplinaire du 9 juillet : « Abaissement d’un échelon aux motifs suivants : Refus d’obéissance, manquement au devoir de réserve, incitation à la désobéissance collective, attaque publique contre un fonctionnaire de l’Éducation Nationale ». Il s’agit d’une sanction disciplinaire de catégorie 2. Dès le départ, les syndicats savaient que la volonté du ministre et de l’académie était de m’infliger un déplacement d’office. La mobilisation exceptionnelle du 9 juillet a permis de les faire reculer par rapport à leur intention première, ce qui en soi est déjà un succès. Il n’en reste pas moins que la sanction décidée a vocation à faire un exemple, en me frappant à nouveau au portefeuille. Le coup est donc rude, mais l’important est de rebondir immédiatement. Un communiqué de presse du comité de soutien et du mouvement des enseignants en résistance pédagogique est diffusé largement en début d’après-midi. Il insiste sur les conséquences financières de la sanction d’abaissement d’un échelon : « S’ajoutant à la promotion qui lui a été refusée au mois de février, précise le communiqué, et indépendamment des 19 jours de salaire qui lui ont déjà été soustraits, cette sanction représente pour les quatre ans qui viennent une perte d’au moins 7 000 euros, alors qu’ Alain Refalo a effectué l’intégralité de son service devant les élèves et que les rapports pédagogiques de ses inspecteurs sont élogieux. […] Il s’agit donc bien d’une sanction politique pour briser professionnellement l’initiateur du mouvement de résistance pédagogique et bâillonner la liberté d’expression des enseignants. » Le jour même, alors que l’indignation est générale sur internet, que le président du Conseil général, Pierre Izard, affirme que la sanction est disproportionnée et que nous avons besoin de dialogue et d’apaisement, l’inspecteur d’académie déclare à l’AEF qu’il a recouru à « une sanction d’apaisement ». Il précise qu’elle équivaut à « 70 ou 80 euros de traitement en moins par mois »  et qu’il s’agit de « la sanction la plus basse du deuxième groupe ». Il termine par ces mots qui ne manquent pas d’humour : « il s’agit donc d’une sanction modeste, d’un appel au dialogue ». Je ne me suis certes pas étranglé en découvrant cette déclaration, mais j’ai compris que, comme toujours, la bataille de la communication était essentielle. J’ai donc apporté les rectifications qui s’imposaient à l’AEF. La baisse d’un échelon équivaut en réalité à 120 euros en moins par mois et il ne s’agit pas de la sanction la plus basse de la deuxième catégorie. La sanction en question est la radiation du tableau d’avancement qui, curieusement, n’a pas été mise au vote lors de la commission disciplinaire. Et pour cause, le refus de promotion décidé arbitrairement par l’inspecteur d’académie le 4 février 2009 s’apparente bien à une forme de radiation du tableau d’avancement… La « sanction d’apaisement » qui n’aurait pas eu de conséquences supplémentaires pour ma carrière était sûrement celle-ci. Nous.. sommes bien sous le régime d’une triple peine, en comptant les retraits de salaire. C’est précisément sur ce point que j’ai argumenté le recours que j’ai déposé auprès du Conseil Supérieur de la Fonction Publique de l’Etat, dans le mois qui a suivi la notification de la décision13.

Le jour même où la sanction tombe, je publie une déclaration sur le blog Résistance pédagogique qui sera largement diffusée. Cette sanction pouvait porter atteinte au moral de nombreux enseignants, d’où ce titre : « Ne nous résignons pas. Osons dessiner, dès aujourd’hui, un à-venir pour l’école, aux couleurs de la générosité et de l’espérance ». Le texte se veut une contribution qui s’inscrit dans la dynamique de l’action que nous avons portée durant toute l’année. « A titre personnel, écris-je, je ne regrette rien et surtout je ne me sens « coupable » de rien. Mettre ses actes en cohérence avec ses pensées est certainement ce qu’il est donné de vivre de meilleur, surtout dans notre noble métier. C’est une action juste, motivée en conscience, au service de l’intérêt général et non pas de notre « confort » corporatiste. Collectivement, nous pouvons être fiers d’avoir impulsé un mouvement qui porte l’exigence d’une révolte éthique et professionnelle conjuguée à un esprit de responsabilité et d’honnêteté que personne, aucun pouvoir, ne pourra briser. »

Extrait de l’ouvrage « En conscience, je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école », Ed. des Ilots de résistance, 2010.

1 Patrick Jimena est directeur de l’Association Columérine Socio-Education (ACSE) qui a une mission de prévention spécialisée sur la ville de Colomiers dans le cadre d’une convention avec le Conseil Général de la Haute-Garonne. Il est également vice-président du Centre de ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées.

2 Le recours en excès de pouvoir contestant les 23 jours de retrait de salaire sera déposé le 2 juillet au Tribunal Administratif de Toulouse.

3 Voir en annexe.

4 Reza Goghari, parent d’élève de la classe, Pierre Dumont, enseignant désobéisseur à l’école Jules Ferry de Colomiers, Philippe Meirieu (absent) dont le témoignage sera lu par Pierre Dumont, Bernard Dedeban, secrétaire départemental de la FSU qui lira la déclaration de Gérard Aschieri, Jean-Pierre Lepri, inspecteur à la retraite, Patrick Jimena, président du comité de soutien, qui lira la lettre des trois anciens grands résistants.

5 propos rapportés par l’Associated Press

6 propos rapportés par l’Agence France Presse

7 propos rapportés par l’Agence France Presse

8 propos rapportés par La Dépêche du Midi

9 Cet article a été publié quelques jours après la lettre du 6 novembre 2008. J’appelle clairement les enseignants du primaire à entrer en désobéissance ouverte.

11 Café pédagogique, 10 juillet 2009, http://www.cafepedagogique.net/

12 Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. 1er groupe : l’avertissement et le blâme. 2ème groupe : la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement d’échelon, l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de 15 jours, le déplacement d’office. 3ème groupe : la rétrogradation, l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. 4ème groupe : la mise à la retraite d’office, la révocation.

13 La commission de recours du CSFPE devrait avoir lieu au premier trimestre 2010.

2 réflexions au sujet de « 9 juillet 2009 : il y a 10 ans, le procès de l’instit rebelle de Colomiers… »

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