Evaluations à l’école : Face aux tentatives de caporalisation des enseignants, la résistance collective s’impose ! Appel aux syndicats.

« Le professeur des écoles ne saurait être un simple exécutant : à partir des objectifs nationaux, il doit inventer et mettre en œuvre les situations pédagogiques qui permettront à ses élèves de réussir dans les meilleures conditions » (Préambule aux programmes de 2008… en contradiction avec les circulaires prescriptives adossées à ces mêmes programmes que la profession avait alors massivement refusées).

Nous voici retourné dix ans en arrière… L’institution scolaire revient aux vieux démons que Darcos et Chatel n’avaient pas réussi à imposer dans la durée : le pilotage par les « résultats », le classement des établissements scolaires et leur mise en concurrence, et à terme, la prime au mérite des enseignants. Avec un outil imposé autoritairement aux professeurs des écoles : des évaluations nationales standardisées, vides de sens, qui alimenteront les fichiers informatisés dont nous savons qu’à terme, ils serviront à notre propre perte, morale et professionnelle. Car au bout du bout, ce sera le bachotage permanent, la préparation aux tests, la compétition des uns contre les autres, l’individualisme triomphant, le stress incessant et le renforcement des inégalités entre les écoles.

Le ministre Blanquer tient sa revanche idéologique. Lui qui était dans l’ombre dans les années 2008-2012, alimentant alors les projets les plus funestes des ministres de Sarkozy, veut aujourd’hui caporaliser les enseignants du primaire en les soumettant sans condition à des pratiques contraires à l’éthique de leur métier. L’évaluation, qui demeure nécessaire et utile, n’a plus pour finalité l’aide diagnostique aux enseignants pour adapter leurs objectifs et leur pédagogie, elle devient un outil de contrôle superficiel et déconnecté, qui aura des conséquences néfastes au final sur la réussite des élèves et le travail des enseignants. Obéir sans discernement à ces injonctions, appliquer aveuglément ces nouveaux dispositifs d’évaluation, serait renier notre éthique d’enseignant. En conscience, aucun enseignant ne peut s’y résoudre sous peine de perdre son âme et de se tirer une balle dans le pied.

« L’école de la confiance » de Blanquer est une vaste fumisterie de la communication politique. Dans la réalité, le ministre impose un climat de défiance aux enseignants. A cette défiance institutionnelle, la « riposte » qui s’impose est la résistance pédagogique, éthique et responsable, collective et ciblée. Chacun se souvient qu’elle avait émergé en 2008 par une désobéissance ouverte et assumée dans un climat d’autoritarisme sans précédent. Elle avait connu un développement spectaculaire, bien que minoritaire, jusqu’en 2011, malgré les pressions et parfois les sanctions. Les enseignants-désobéisseurs du primaire, par leur action, avaient alors « sauvegardé la dignité du service public d’éducation » (Hubert Montagner). A partir de 2012, tous les dispositifs pédagogiques imposés qu’ils avaient neutralisés et abolis par leur désobéissance quotidienne ont finalement été supprimés : les nouveaux programmes, l’aide personnalisée et les évaluations nationales.

Le 31 août dernier, cinq organisations syndicales1 et plusieurs mouvements pédagogiques ont dénoncé, dans un communiqué commun, les atteintes à la liberté pédagogique sur l’enseignement prescriptif de la lecture (avec le « petit livre orange »), qui est à rebours de tous les derniers résultats de la recherche. (voir à ce propos notre article sur La liberté pédagogique à la sauce Blanquer). Dans cette déclaration, ils précisent que  » nos associations et organisations syndicales apporteront leur soutien aux enseignants et aux équipes qui refusent de mettre en oeuvre ces actions ou veulent les interrompre. Elles demandent que cessent toutes les formes de pression exercées. » Ainsi, ces syndicats et mouvements ont parfaitement conscience que la résistance à la caporalisation des enseignants du primaire est désormais à l’ordre du jour et qu’elles s’engagent à soutenir les « réfractaires » qui, en conscience, veulent agir pour le bien de leurs élèves avec des méthodes éprouvées.

Il doit en être de même pour les évaluations nationales. Ces organisations, tout particulièrement les syndicats, doivent s’engager à soutenir les enseignants qui boycotteront la passation des évaluations ou/et la remontée des réponses et des résultats. Dans une démarche plus volontariste, un appel clair au boycott serait parfaitement bienvenu afin de protéger davantage les enseignants-désobéisseurs (« réfractaires » ?), version 2018.

Ce qui se joue aujourd’hui est d’une toute autre importance qu’il y a dix ans. Le pouvoir assume, sans vergogne, ses objectifs inspirés par l’idélogie libérale la plus conservatrice et la plus destructrice des fondements de l’école républicaine. A ce défi sans précédent, une riposte sans équivalent doit naître et se développer afin d’enrayer cette machine infernale et perverse qui à terme mettra à mort le service public d’éducation.

Obéir, c’est mourir. Résister, c’est vivre.

1 SE-Unsa, SNPI-FSU , ICEM-pédagogie Freinet, CEMEA, SUD Education, CNT Education, SNUIPP-FSU, CGT EducAction, GFEN, CRAP-Cahiers Pédagogiques, SIEN-Unsa, SGEN-CFDT, la Ligue de l’Enseignement

2 réflexions au sujet de « Evaluations à l’école : Face aux tentatives de caporalisation des enseignants, la résistance collective s’impose ! Appel aux syndicats. »

  1. B. Girard

    Si Blanquer réussit à faire passer ses évaluations, ce sera un signal fort et le reste suivra dans la foulée : tout lui sera alors permis. S’il paraît aujourd’hui plus dangereux que sous Sarkozy, ce n’est pas seulement à sa position de ministre qu’il le doit qu’à la faible mobilisation du terrain.

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  2. Cicolella

    Nouveaux locaux, nouveaux visages d’enfants, de parents, de collègues. Nouvelles directives, nouveaux outils…la rentrée est un moment privilégié à la fois heureux et harassant car tout est nouveau pour les élèves comme pour les enseignant-es.
    Les premiers jours sont consacrés à la mise en place de l’espace et des outils. Pas seulement des cahiers et autres fournitures. Mais aussi des outils coopératifs qui permettent de faire vivre la classe ensemble afin que les apprentissages puissent se construire pas à pas : les métiers, le quoi de neuf, le règlement avec nos droits et nos devoirs, les ceintures, les albums de rentrée, les fichiers autocorrectifs, le conseil, la boite à idées…bref tous ces outils tel que présentés dans l’excellent agenda coop de l’Occe sont indispensables pour démarrer dans un esprit éducatif bienveillant.
    Or, dans ce moment si particulier, où nous avons besoin de temps pour installer l’espace-classe et pour instaurer la confiance, est-il besoin de se disperser, de se surcharger, de stresser élèves et enseignants avec des évaluations nationales standardisées inutiles et chronophages ? Au contraire, une évaluation efficace nécessite de créer un climat de bien-être et de confiance. Le stress et la peur de l’échec ne peuvent que freiner les progrès scolaires. Ces évaluations déconnectées du travail de la classe et leurs corrections transférées à un logiciel m’inquiètent.
    Le Snuipp-Fsu du 93 a mis en ligne le 07/09/18 des outils pour comprendre et décrypter le sujet: lettre aux directrices, directeurs, lettre aux parents, consignes syndicales…Ailleurs, des pays comme l’Angleterre, qui ont testé ce type d’évaluations, ont fait machine arrière et les ont abandonné. Et la privatisation des écoles en Suède aux effets néfastes se révèle être un fiasco (Le Monde Diplomatique, septembre 2018).
    10 ans après le mouvement de désobéissance pédagogique auquel vous avez contribué, je salue votre appel qui résume bien notre situation face aux menaces de « l’école du contrôle et de l’obsession des résultats » qui réduit les enseignants à de simples exécutants. Il est temps de résister pour ne plus subir l’école du chiffre et de la compétition au détriment de l’école de la coopération et de l’émancipation.
    En conscience, je pense désobéir pour réaffirmer le droit à la liberté pédagogique inscrite dans la loi du 24 avril 2005. Je ne peux renier l’éthique et la responsabilité de mon métier en me laissant déposséder de mon métier au profit d’un logiciel ministériel qui imposera des méthodes et des pratiques à des fins de mise en concurrence des écoles. En quoi la publication des résultats des écoles aidera la réussite de tous ? Cela causera notre perte. L’école doit avoir une autre ambition. Je souhaite plutôt continuer à engager mes élèves dans la construction de leurs apprentissages et les aider à progresser leur rythme avec les outils dont nous disposons dans nos classes.
    A nous d’agir collectivement pour résister avec l’aide des collègues, des parents, des syndicats, des élu-es…
    Cordialement
    Antoine Cicolella
    « Cela semble impossible jusqu’à ce qu’on le fasse » Nelson Mandela

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