Le projet de loi sur le renseignement a déjà fait couler beaucoup d’encre. Et pour cause, au nom de la lutte légitime contre le terrorisme, des dispositifs de surveillance généralisée attentoires aux libertés individuelles et publiques vont être instaurés. La sécurité contre la liberté, la sécurité au détriment de la liberté… Un vieux débat en somme que l’histoire a pourtant tranché : si jamais ces lois liberticides ne renforçent la sécurité des citoyens, toujours elles en restreignent les libertés.
Il est tout particulièrement inquiétant de lire dans ce projet au chapitre des finalités du renseignement : « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ». Une définition aussi floue ouvre la porte à une criminalisation plus forte des mouvements sociaux, des actions citoyennes qui, sans cautionner la violence, se situe en marge de la légalité, voire dans une démarche de désobéissance civile. Comme l’indique justement la magistrate Laurence Blisson, « nous sommes face à une démocratie qui n’assume aucune de ses marges. Toute expression de radicalité sera surveillée, des black blocs aux mouvements sociaux. »1
La désobéissance civile aux lois injustes est justement une forme de radicalité que notre démocratie, bien en retard par rapport aux pays anglo-saxons, a toujours du mal à appréhender. Des faucheurs volontaires aux déboulonneurs de pub, des militants anti-nucléaires aux enseignants-désobéisseurs, nombreux sont ceux qui ont dû sûbir la répression, souvent disproportionnée de l’Etat, pour avoir agi en conscience dans l’intérêt public. Mais cette radicalité qui s’inspire notamment du combat pour les droits civiques aux Etats-Unis est une radicalité non-violente. La désobéissance est civile en ce sens qu’elle n’est pas criminelle, c’est à dire violente. La civilité de la désobéissance s’exprime dans des actions au grand jour, à visage découvert et qui, jamais, ne portent atteinte aux personnes.
Mais l’Etat ne s’embarrasse pas de ces précisions. Il a vocation à criminaliser toute désobéissance, y compris civile, pour mieux la discréditer et la sanctionner. La désobéissance est forcément une forme de délinquance qui s’assimile à de la violence. En réalité, elle est une forme de dissidence qui exprime un dissentiment civique quand l’Etat manque à ses devoirs et quand la loi cautionne l’injustice. Ce civisme de dissentiment est parfaitement légitime. Notre histoire a montré que notre démocratie était davantage menacée par l’obéissance inconditionnelle des citoyens que par leur désobéissance civique.
Il est donc évident que la loi sur le renseignement évoquée plus haut renforcera la tentation du contrôle des citoyens qui projetteront de désobéir aux lois républicaines et qui de ce fait seront considérés comment portant « atteinte à la forme républicaine des institutions ». La surveillance d’internet et les écoutes téléphoniques concerneront également les mouvements citoyens qui, de façon publique et non-violente, contestent les lois discriminatoires, les lois injustes, les lois liberticides et scélérates, y compris celle sur le renseignement…
L’avocat Henri Leclerc ne s’y trompe pas : « Ce n’est pas en légalisant des pratiques attentatoires aux libertés qu’on les rend conformes aux principes généraux de notre droit. C’est une loi antiterroriste maquillée, mais également un texte sur le maintien de l’ordre public général. »2 Au nom de ce maintien de l’ordre, la contestation fut-elle illégale et non-violente sera davantage surveillée et réprimée, avec des outils nouveaux d’écoute et de surveillance dont on peut douter de la légalité. La question reste alors posée de la résistance civique à ce projet de loi scélérate, c’est à dire de la légitimité de la désobéissance civile pour refuser de cautionner ce nouvel ordre sécuritaire.
1 Télerama.fr, 23 avril 2015
2 Ibid
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