François et la non-violence

De nombreux commentaires ont accompagné l’annonce du décès du pape François, lundi 21 avril. Je souhaite rappeler à cette occasion, son étonnante prise de position en faveur de la non-violence en 2017. Une avancée majeure dans la prise en compte de la philosophie de la non-violence et de la stratégie de l’action non-violente par le chef de l’Eglise catholique.

Le 1er janvier 2017, lors de la journée mondiale de la paix, le pape François consacre une allocution au thème de la non-violence intitulée « La non-violence : style d’une politique pour la paix »1. C’est une première dans l’histoire de l’Église. Déjà, son prédécesseur, Benoît XVI, avait eu des paroles fortes sur cette question, mais sans en faire un sujet de réflexion particulier. Ainsi, lors de la cérémonie de l’Angélus, le 18 février 2007, dans une méditation sur l’une des paroles les plus importantes de Jésus, « aimez vos ennemis », le pape affirmait que « dans le monde, il règne trop de violence, trop d’injustice et que, par conséquent, on ne peut surmonter cette situation qu’en lui opposant un supplément d’amour, un supplément de bonté ». « Cette page de l’évangile, poursuivait-il, est considérée, à juste titre, comme la magna charta de la non-violence, qui ne consiste pas à se résigner au mal – selon une fausse interprétation du « tendre l’autre joue » (Lc 6, 29) – mais à répondre au mal par le bien (Rm 12, 17-21), en brisant ainsi la chaîne de l’injustice. »

Cette ouverture en direction de la non-violence amorcée par Benoît XVI, le pape François la reprend en la citant, mais surtout il l’élargit pour proposer à tous les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté de « faire de la non-violence [leur] style de vie ». Tout son message est centré sur cette idée forte : une véritable politique de paix, à tous les niveaux, doit se fonder sur la non-violence. « La construction de la paix au moyen de la non-violence active, énonce t-il, est un élément nécessaire et cohérent avec les efforts permanents de l’Église pour limiter l’utilisation de la force par les normes morales. » Indéniablement, il s’agit d’une rupture avec les théories sur la guerre juste, voire la guerre sainte, qui ont longtemps dominé le discours de l’Église.

Le pape reconnaît que notre monde est « en morceaux » et que la violence qui s’y exerce « provoque d’énormes souffrances ». Il juge que « la violence n’est pas le remède », car elle ne fait que « déchaîner des représailles et des spirales de conflits mortels qui ne profitent qu’à un petit nombre de « seigneurs de guerre ». » À cette logique destructrice et meurtrière, le pape oppose « une éthique de fraternité et de coexistence pacifique entre les personnes et les peuples ». Il interpelle à la fois les chefs d’État, en lançant un appel au désarmement et à l’abolition des armes nucléaires, et les citoyens, pour que cesse la violence domestique et les abus envers les femmes et les enfants.

Précisant sa pensée, François suggère à chacun de faire l’option de la non-violence : « Que ce soient la charité et la non-violence qui guident la manière dont nous nous traitons les uns les autres dans les relations interpersonnelles, dans les relations sociales et dans les relations internationales. […] Depuis le niveau local et quotidien jusqu’à celui de l’ordre mondial, puisse la non-violence devenir le style caractéristique de nos décisions, de nos relations, de nos actions, de la politique sous toutes ses formes ! » L’expression « style », utilisée également dans le titre du message, est à entendre dans sa définition anthropologique, c’est-à-dire comme une façon exemplaire de se comporter. Le pape considère la non-violence comme un comportement exemplaire dans tous les conflits que nous pouvons rencontrer dans nos existences, tant sur le plan personnel que social ou international.

Le pape François s’appuie sur la réflexion de son prédécesseur qui indiquait que « pour les chrétiens, la non-violence n’est pas un simple comportement tactique, mais bien une manière d’être de la personne ». La non-violence est une attitude positive qui recherche et met en œuvre des moyens novateurs en cohérence avec la fin poursuivie. Cette attitude englobe toutes les dimensions de la vie, au cœur des conflits vécus. Sur ce point, François rappelle les principaux éléments de l’enseignement de Jésus, mais aussi de ses actes publics, soulignant que « Jésus a tracé la voie de la non-violence, qu’il a parcourue jusqu’au bout, jusqu’à la Croix, par laquelle il a réalisé la paix et détruit l’inimitié ». Être un vrai disciple de Jésus, cela signifie, nous dit François, « adhérer à sa proposition de non-violence », la seule qui soit « réaliste », comme l’avait déjà affirmé Benoit XVI. Il voit dans le discours sur la Montagne le « manuel » d’une stratégie de construction de la paix « au moyen de la non-violence active ».

Dans ce message du 1er janvier, le pape ne nous donne pas une définition précise de la non-violence telle qu’il la conçoit. L’expression « non-violence active » qu’il utilise à plusieurs reprises, certainement inspirée de l’histoire de la non-violence en Amérique du Sud, est à cet égard pas très heureuse. Cela pourrait sous entendre qu’il existe une « non-violence passive », ce qui est contraire à toute l’histoire de la non-violence. En réalité, c’est une façon pour le pape de considérer que la non-violence est aussi une forme d’action capable d’introduire des changements. De même, le pape n’évite pas certains écueils propres aux discours traditionnels de ses prédécesseurs sur « les armes de la vérité et de l’amour » qui seraient susceptibles, par elles-mêmes, d’avoir une influence spécifique dans la conduite des conflits. Pourtant, ni la vérité, ni l’amour ne sont, en elles-mêmes, des forces qui agissent dans l’histoire. Seules les « armes » de la non-violence sont capables de transformer des situations d’injustice et de dénouer les conflits en créant de véritables rapports de force.

La partie la plus novatrice du message de François concerne la mise en avant de l’action non-violente comme méthode de lutte dans les conflits pour la justice. Jusqu’à maintenant, les papes avaient surtout insisté sur la dimension éthique et personnelle de la non-violence. François rappelle tout d’abord que la non-violence ne saurait être confondue avec la « capitulation », le « désengagement » et la « passivité ». Il fait ensuite l’éloge de « la non-violence pratiquée avec détermination et cohérence » qui « a donné des résultats impressionnants » dans de nombreux pays. A l’appui de cette affirmation, il évoque les succès de trois grandes personnalités du combat non-violent, elles-mêmes issues de trois religions différentes. En premier lieu, le Mahatma Gandhi (hindou), principal artisan de la libération de l’Inde, mais aussi Khan Abdul Ghaffar Khan (musulman) qui a mené un combat non-violent contre la domination britannique. Puis, Martin Luther King (chrétien), leader historique du combat des Noirs pour les droits civiques aux États-Unis. « Leur succès ne seront jamais oubliés », affirme le pape qui cite aussi en exemple les femmes qui, bien souvent, ont été des « leaders de non-violence ». Il rappelle également « l’action courageuse » des communautés chrétiennes dans les événements qui ont abouti à la chute des régimes communistes en Europe et souligne que « l’Église s’est engagée pour la réalisation de stratégies non-violentes de promotion de la paix dans beaucoup de pays ».

En reprenant à son compte la dimension politique de la non-violence, c’est-à-dire la dimension de la lutte non-violente pour la justice et la paix, le pape effectue une véritable révolution doctrinale dans la pensée de l’Église. Son invitation à s’engager « par la prière et par l’action à devenir des personnes qui ont banni de leur cœur, de leurs paroles et de leurs gestes, la violence » témoigne de sa compréhension de la non-violence aussi comme une force d’action susceptible de promouvoir la justice et la paix. Il assure que « l’Église catholique accompagnera toute tentative de construction de la paix, y compris par la non-violence active et créative ». Il appelle à la solidarité active avec toutes les victimes des violences (migrants, exclus, victimes de guerre, prisonniers, chômeurs, personnes exploitées et torturées…) considérant que « chaque action dans cette direction, aussi modeste soit-elle, contribue à construire un monde libéré de la violence, premier pas vers la justice et la paix ».

Ce plaidoyer du pape pour la non-violence tranche singulièrement avec la théorie de la guerre juste et de la violence légitime qui ont longtemps été la doctrine officielle de l’Église. Citant son discours d’Assise du 20 septembre 2016, François réaffirme avec force que « jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence » et que « seule la paix est sainte, pas la guerre ! » Certes, le pape n’abolit pas explicitement ces doctrines de la guerre juste, voire sainte, qui ont servi la légitimation de tant de guerres et de massacres dans le passé, mais il ouvre un nouveau chemin de réflexion et d’action susceptible de modifier en profondeur la doctrine de l’Église sur cette question. Les catholiques et plus largement les chrétiens ont-ils entendu ce message ?


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