Tout récemment, la Légion étrangère, plus précisément le 2ème Régiment étranger d’infanterie, basé à Nîmes depuis 1983, s’est porté acquéreur d’une ferme dans le hameau de Bannières Bas, au pied du col Saint Pierre, dans la commune de St Jean du Gard, au cœur des Cévennes. La Légion veut y installer un centre de repos pour ses militaires blessés physiques et psychologiques. Mais derrière ce projet qui commence à mobiliser des habitants se pose la question de la volonté de l’armée de s’implanter durablement dans les vallées cévenoles, non loin du plateau du Larzac…
L’achat de cette ferme est-il en effet l’arbre qui cache la forêt ? Pour les opposants, ce projet « s’annonce d’ores et déjà comme celui de l’implantation d’un avant-poste militarisé » dans les Cévennes. Leurs inquiétudes se fondent notamment sur les propos du chef de corps du régiment qui, le 4 avril, déclare à Objectif Gard que « l’idée, c’est de permettre au régiment de s’approprier encore davantage le département du Gard, en rayonnant vers le nord, tout en profitant de cette belle région que sont les Cévennes pour s’entraîner ». Il ajoute que cette « appropriation » nécessitera « une présence permanente dans cette ferme ». Il précise que « les détachements seront assez nombreux, entre 40, voire 150 personnes à plus long terme, présentes à la semaine ». Il annonce également que « la ferme de Banières sera une emprise militaire, donc les sous-bois serviront à s’entraîner au combat ». De plus, il prévoit d’effectuer « des exercices en terrain libre », sur des terrains civils, avec l’autorisation des propriétaires et de la municipalité… Assiste-t-on, insidieusement, à une nouvelle stratégie de l’armée pour s’implanter dans les territoires, à proximité de villages, afin d’élargir leur capacité de mouvement et surtout davantage se faire accepter par la population ?
Comme le souligne le collectif « Vallées cévenoles démilitarisées » qui s’est créé il y a quelques mois, avant même d’avoir acquis cette propriété de neuf hectares, « plusieurs incursions de légionnaires dans le village ont eu lieu », nourrissant des doutes sur les véritables intentions de la Légion étrangère. Le collectif rappelle que lors de la cérémonie du 11 novembre à St Jean du Gard, on notait la présence « en grande pompe » du 2ème Régiment étranger d’infanterie nîmois. Le même jour, à Maison Rouge (anciennement Musée des vallées cévenoles), plusieurs légionnaires ont été naturalisés par le maire de St Jean du Gard. Enfin, le 23 mars dernier, 600 militaires armés se sont déployés dans les sentiers de la vallée et les rues de plusieurs villages.
Les opposants s’interrogent sur le rôle de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) dans ce rachat par la Légion. Rappelons que la vocation de cet organisme est de garder aux terres leur vocation agricole à partir de projets qui doivent être en cohérence avec les politiques locales et qui répondent à l’intérêt général. Deux candidats au rachat de la ferme de Bannières se sont présentés le 15 décembre devant la commission d’attribution de la Safer : un agriculteur et la Légion étrangère. La Safer avait d’abord voté en faveur de l’agriculteur, mais celui-ci devait présenter un projet sérieux d’exploitation des quatre hectares de terres cultivables avant le 24 décembre ! Un délai trop court qui a permis à la Légion d’emporter la mise pour la modique somme de 550 000 euros… La Légion s’est engagée à maintenir l’activité ovine, la chasse et le développement de l’apiculture et de la production d’olive par les militaires eux-mêmes, sans oublier la mise en place d’un potager pédagogique !1 L’armée est surtout intéressée par les cinq hectares de forêt de la propriété afin, selon la plaquette présentée par l’institution militaire, d’y effectuer « des marches en parcours naturels » ou « des combats à pied en zone boisée ». La plaquette argumentait également en soulignant son rôle de secours en cas de tempêtes : « Cela permettra aussi à la Légion d’avoir un pied dans cette zone dans laquelle elle est souvent engagée lors des épisodes cévenols »…
Le collectif « Vallées cévenoles démilitarisées » fait état de « la stupeur de nombreux habitants de la région » qui n’ont jamais été consultés. Beaucoup d’entre-eux, souligne le collectif, expriment leurs craintes : « baisse de la clientèle touristique venant se ressourcer en pleine nature, inquiétude de randonneurs locaux ne souhaitant pas tomber nez-à-nez avec un convoi militaire au détour d’un chemin, risques d’incendies avec les tirs traçants ou influence néfaste que peuvent provoquer des hommes en armes sur les plus jeunes du village ». Le Collectif s’étonne également de la capacité de l’armée à s’offrir « avec l’argent du contribuable un mas dans les Cévennes alors que l’accès au foncier et au bâti agricole pour les jeunes agriculteurs est devenu illusoire. »
A quelques dizaines de kilomètres de là, sur le plateau du Larzac où la Légion s’est installée en 2016 (avec 1 300 militaires), sans beaucoup de résistances parmi les anciens de la lutte contre l’extension du camp militaire, on apprend que l’armée vient d’acheter, discrètement, une ferme sur la commune de Tournemire, au pied du Larzac. « Le camp du Larzac ne leur suffit pas ! », s’exclame d’ailleurs Christian Roqueirol dans L’info de la Brebis, du site Larzac.org. Et effectivement, il semble que l’appétit de l’armée pour s’accaparer progressivement des terres, des bois et des habitats pour ses manœuvres et ses exercices de tirs soit sans limite. Et nécessite assurément une remobilisation citoyenne contre la militarisation.
La présence de la légion dans ces nouveaux territoire est certainement à mettre en perspective avec une tendance qui s’affirme de plus en plus, à savoir la militarisation de la société. Ces dernières années, comme je le rappelle dans l’ouvrage Démilitariser la France2, celle-ci a franchi un cap jamais égalé. Les accords entre l’Éducation nationale et la Défense se sont renforcés sur la base de protocoles qui favorisent la propagande militaire dans les établissements scolaires, de l’école à l’université, et la participation des élèves à des concours et manifestations organisés par le ministère des Armées. Le Service National Universel a été instauré. Il se met en place, certes avec difficulté, mais avec la volonté d’embrigader à terme toute la jeunesse et de lui inculquer les bonnes vieilles méthodes militaires. A la suite des attentats de 2015, la présence de l’armée dans les villes s’est renforcée à travers l’opération Sentinelle, en complément du dispositif Vigipirate. Les forces de l’opération Sentinelle ont même été utilisés lors de l’Acte 19 des gilets jaunes pour « sécuriser » certains lieux de pouvoir. Surtout, la répression des manifestations publiques depuis 2016 (loi Travail) a été crescendo avec l’utilisation d’armes de guerre contre les manifestants par les forces de l’ordre, occasionnant des blessures et des mutilations inacceptables dans un État de droit. Dans ce contexte, la volonté de l’armée de prendre pied sur de nouveaux territoires, davantage ruraux, constitue une pierre de plus dans la militarisation croissante de notre pays. Qui nécessite un surcroît de vigilance citoyenne.
Le collectif « Vallées cévenoles démilitarisées » revendique l’arrêt de ce projet d’installation de la Légion dans les Cévennes. Le 28 avril, une soirée d’information était organisée à La Borie avec la projection du fameux film Tous au Larzac !, en présence de plusieurs paysans du Larzac venus apporter leur soutien. Et une première grande manifestation est organisée le dimanche 8 mai à St Jean du Gard sous la forme d’une « marche contre la militarisation des vallées cévenoles ». Signalons également qu’une pétition en ligne est disponible à l’initiative du collectif. La célèbre iconographie d’un Dragon du roi qui vient soumettre un huguenot illustre le texte de la pétition et laisse penser que l’implantation de la Légion sur cette terre de résistance ne passera pas comme une lettre à la poste.
PS : Signalons également l’excellent dossier de la revue Silence consacré à « Résister à la militarisation » dans sa livraison du mois de mai.
1 Source : Objectif Gard, 24 mars 2022.
2 Alain Refalo, Démilitariser la France, plaidoyer pour un pays acteur de la paix, Chronique Sociale, 2022.