Histoire à l’école : déconstruire une mémoire guerrière et sélective

20140416171204-a61d4ea6-meDevant des millions de téléspectateurs, le candidat de la droite à la primaire François Fillon a récemment déploré que l’école n’enseignait plus Clovis et Jeanne d’Arc, deux héros de notre récit national. Outre que ses propos traduisaient une claire méconnaissance des programmes d’histoire, il n’en reste pas moins que ce candidat se situe dans la lignée des hommes politiques qui veulent instrumentaliser l’enseignement de l’histoire au profit d’une idéologie patriotique et guerrière. Le retour du port de l’uniforme qu’il prône s’inscrit d’ailleurs aussi dans cette volonté de caporaliser l’école, les enseignants comme les élèves, en s’appuyant sur une histoire nationale empreinte de militarisme qui serait la seule à pouvoir être enseignée à l’école.

L’histoire qu’on nous raconte est bien une histoire qui honore les guerres et les croisades faites au nom de la chrétienté ou de l’Etat. Elle magnifie les conquêtes militaires qui ont agrandi le territoire de France. Elle glorifie les héros guerriers, symboles exemplaires du courage. C’est essentiellement une histoire d’Etat et non pas une histoire du peuple. C’est une histoire racontée par les vainqueurs et non pas par les victimes… Cette histoire qui privilégie les faits militaires et guerriers s’enracine dans une culture qui valorise la violence. La violence est considérée comme le moteur de l’histoire, des révolutions, des bouleversements inévitables, des luttes pour le progrès et la justice. « Nous regardons l’histoire à travers le prisme déformant de l’idéologie de la violence qui domine nos cultures et celle-ci nous persuade que, seul, un supplément de violence pourrait éradiquer la violence, affirme Jean-Marie Muller1« .

Pourtant, d’autres forces que la violence et la guerre ont agi dans l’histoire. La force des idées (liberté, tolérance, démocratie, droits de l’homme…), qui ont éclairé les consciences de femmes et d’hommes qui se sont mis en mouvement pour transformer des réalités d’oppression ; mais aussi la force des moyens d’action non-violents pour la démocratie et la justice. Il existe une histoire, très ancienne, des combats non-violents qui ont montré toute leur efficacité pour défendre la dignité de l’homme. Cette histoire est méconnue, voire refoulée. Ainsi, dans nos manuels d’histoire, tout comme lors des multiples commémorations nationales ou locales, la résistance et l’esprit de résistance sont toujours mis à l’honneur. Fort bien. Mais quelle résistance ? Il s’agit toujours exclusivement de la résistance armée. Pourtant, elle fut largement minoritaire pendant l’occupation allemande lors de la seconde guerre mondiale. C’est ainsi que sont passés sous silence les résistances dites civiles, non armées, qui prirent des formes très différentes (solidarité, entraide, presse clandestine, manifestations de rue). Les résistances de l’ombre (spirituelles, civiques, politiques) sont considérées comme mineures et pourtant elles ont joué un rôle considérable pour entretenir l’esprit de résistance, développer les réseaux de solidarité et de sauvetage des juifs et enrayer la machine à collaborer de l’occupant. Ces résistances non armées méritent elles aussi d’être valorisées et célébrées d’autant qu’elles furent, le plus souvent, davantage efficaces que les résistances armées.

Cette culture de la violence et de la guerre qui domine notre regard et notre interprétation de l’histoire masque sans doute l’essentiel. Car très souvent, finalement, ce sont les désastres humains de la guerre, de nos guerres, qui sans être niés, bien que minimisés, sont noyés à travers de multiples faits que l’on s’attarde à décortiquer dans les moindres détails. La culture de la guerre impose de valoriser les objectifs et les faits de guerre tout en relativisant ses conséquences humaines, voire ses échecs. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, nous apprend-on… C’est ainsi que la fatalité de la guerre dans notre histoire, tout comme sa banalisation se sont imposées. Ce faisant, notre capacité d’indignation face aux tragédies humaines qu’elle engendre s’est largement atténuée, au point de quasiment disparaître lorsqu’elle survient dans notre présent.

De même, nous ne faisons plus l’effort de penser la guerre, de chercher à comment la conjurer puisque l’actualité, tout comme l’histoire, semble nous démontrer qu’elle est inévitable, qu’elle fait partie de l’ordre des choses. Quand nous déciderons-nous à tirer véritablement les leçons de l’Histoire, tout particulièrement de l’histoire de nos guerres ? La guerre n’a-t-elle pas montré son incapacité à résoudre les inévitables conflits qui forment la trame de notre Histoire ? Encore faudrait-il que l’exigence de vérité commande à l’écriture de l’histoire.

Car dans le même temps qu’elle valorise les évènements guerriers à la gloire de la France, cette histoire officielle va s’efforcer d’occulter certaines atrocités dont nous n’avons pas lieu d’être fiers. Des crimes de l’Etat, de l’armée sont cachés ou minimisés. Ainsi en est-il, lorsque sous le vocable de « croisades », on passe quasiment sous silence les massacres commis par les troupes des chevaliers du Nord contre les Cathares, ces Albigeois du Languedoc considérés comme « hérétiques ». Ainsi en est-il, lorsque l’histoire officielle évoque les politiques d’annexion (Bretagne, Béarn, Roussillon, Cerdagne, Nord, Franche-Comté, Corse), et que les résistances populaires, civiles ou armées, fondatrices d’une mémoire culturelle régionale, sont ignorées. Ainsi en est-il aussi de Louis XIV que nous avons tous appris à l’école à désigner par « le Roi Soleil », initiateur des splendeurs et fastes du château de Versailles. Mais qui se souvient que par trois fois, il ordonna la dévastation du Palatinat du Rhin, avec des dizaines de villages incendiés, des églises et des temples détruits, des populations assassinées ? Ainsi en est-il de la période révolutionnaire où les droits de l’homme furent largement bafoués. Ainsi en est-il des guerres napoléoniennes qui priviligient les conquêtes et minimisent l’immensité des pertes humaines, tant françaises qu’étrangères.

Ces crimes, et bien d’autres, commis naguère, sont bien des faits historiques qui méritent d’être connus, ils appartiennent à l’histoire de notre pays. L’historien Jacques Le Goff le souligne clairement : « Si nous nous penchons sur notre mémoire collective, à nous peuples et nations d’Occident, nous y voyons aussi beaucoup de mensonges, de silences, de blancs. Les Français, sans être les pires, n’ont pas encore mis au propre, pour ne parler que du passé récent, leur mémoire de la colonisation, de la guerre et de l’Occupation, de la guerre d’Algérie2« .

Dans cette mémoire, il importe de ne pas oublier qu’il a existé des femmes et des hommes qui n’ont pas voulu cautionner la violence de l’Etat, qui n’ont pas voulu être complices des guerres, coloniales, de conquête, de revanche, voire de « défense ». Parfois, à leur manière, ils ont participé à la défense de la patrie sans vouloir tomber dans le piège de la violence.

Si nous ne retenons que les faits d’armes et de guerre comme les seuls événements marquants de l’Histoire, il y a fort à parier que nous aurons quelques difficultés à imaginer qu’un avenir de paix est possible. La guerre devient une fatalité lorsque les esprits sont convaincus qu’elle est le seul moyen pour faire face aux menaces internationales, se défendre, se protéger. « Du point de vue de l’enseignement de l’Histoire, propose Suzane Citron, plutôt que mettre en avant systématiquement des héros guerriers comme Vercingétorix ou de grands annexionnistes comme Louis XIV, on pourrait privilégier des personnages qui ont favorisé une gestion et des relations pacifiques […] que l’historiographie traditionnelle ne valorise pas3 »

Si nous voulons construire un avenir libéré de l’emprise de la violence et de la guerre, il est décisif de revisiter notre Histoire, et tout particulièrement de démilitariser notre mémoire.

1 Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, Ed. du Relié, 2005, p. 166

2 Jacques Le Goff, Préface à l’ouvrage collectif A l’Est la mémoire retrouvée, La Découverte, 1990.

3 Suzanne Citron, Le mythe national,  Entretien in Non-Violence Actualité, mai-juin 2004, p. 6

2 réflexions au sujet de « Histoire à l’école : déconstruire une mémoire guerrière et sélective »

  1. emdupont

    J’oublie Fillon et tous les autres mais ce qu’on appelle « L’Histoire officielle » n’est que celle des vainqueurs, voire des dictateurs. Je vais revoir à UTOPIA ce film sorti en 1985 peu après la fin de la dictature des généraux en Argentine ; il est sorti en espagnol et sous-titré , le revoici toiletté et on ferait bien de montrer « L’Histoire officielle » à ceux qui aspirent aujourd’hui à l’instauration d’un pouvoir fort, puissant qui remettrait tout en ordre… Illusion qui a conduit au pouvoir Hitler et ses semblables, les dictateurs d’Amérique latine, les généraux en Grèce et qui a permis que le franquisme s’installe et dure quelque quarante ans! – Bon courage à ceux qui vont voter aujourd’hui et au printemps prochain! Bien amicalement. Hélène

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