Le respect de l’animal, un enjeu de civilisation

76722996_pInvité récemment à donner une conférence sur la question du respect de l’animal (Carcassonne, 26 septembre 2015, Forum « La non-violence un art de vivre »), j’ai travaillé à partir de plusieurs ouvrages dont trois particulièrement m’ont aidé à clarifier ma réflexion et réaliser mon exposé. Il s’agit de Plaidoyer pour les animaux (2014) de Matthieu Ricard, Les animaux aussi ont des droits (ouvrage collectif avec des contributions de Peter Singer, Elisabeth de Fontenay et Boris Cyrulnik, 2013) et Voir son steack comme un animal mort (2015) de Martin Gilbert. J’ai largement emprunté à ces ouvrages pour écrire ce texte.

Militant de la non-violence depuis plus de trente ans, c’est dans une période récente que j’ai établi le lien entre la philosophie de la non-violence et l’exigence de respect envers l’animal. En cohérence avec cette approche, j’ai opté, il y a presque cinq ans, pour une alimentation végétarienne. Je suis désormais convaincu que la question de l’éthique animale est un enjeu de civilisation qui concerne l’avenir de l’humanité. Elle concerne les hommes, leur destin, leur survie..

Si la question animale s’invite de plus en plus régulièrement dans l’actualité, si la cause des droits des animaux progresse, il n’en reste pas moins qu’un énorme travail de sensibilisation et de conscientisation demeure indispensable. Ce premier travail que je présente ici est une modeste contribution à ce nécessaire effort de compréhension qui nous appelle aussi à des changements dans nos modes de consommation.

Le continuum du vivant

L’œuvre de Darwin est essentielle pour une approche éthique de la question animale. Il a mis en évidence que les différences entre les êtres humains et les animaux étaient loin d’être aussi fondamentales qu’on le supposait car l’évolution des espèces ne révèle que des transitions graduelles entre elles. « Nous avons vu, écrit Darwin, que les sens et les intuitions, les diverses émotions et les facultés telles que l’amour, la mémoire, l’attention, la curiosité, l’imitation, la raison, etc. dont s’enorgueillit l’homme, peuvent se voir à l’état naissant, ou même parfois dans un état pleinement développé, chez les animaux inférieurs »1. Autrement dit, ni la douleur, ni la souffrance psychologique, ni les émotions ne sont apparues chez l’homme ex nihilo.

Au cours de l’évolution, les animaux ont acquis différentes formes de sensibilité adaptée aux conditions environnantes et nécessaires à leur survie. L’expérience de la douleur, en particulier, s’est formée et affinée pendant des millions d’années car c’est une aptitude essentielle à la survie. Elle constitue un signal d’alarme qui incite l’animal à éviter au plus vite ce qui met en danger son intégrité physique.

Ainsi, le continuum du vivant n’est pas organisé selon une hiérarchie qui conduirait à la supériorité absolue de l’espèce humaine : il reflète seulement les mille voies qu’ont suivies, étape par étape, les nombreuses espèces qui peuplent notre planète. Il reflète la façon dont la sélection naturelle a favorisé l’émergence de la diversité, de la complexité des formes de vie de mieux en mieux adaptées à leur milieu.

Un premier constat s’impose avec Darwin : si nous partageons avec les autres espèces une origine commune, ni nous sommes les produits infiniment variés de l’évolution du vivant alors tout en « admirant » nos éminentes qualités, nous ne pouvons qu’apprécier à leur juste mesure celles des autres espèces et nous efforcer de vivre en leur faisant le moins de tort possible. Le célèbre anthropologue et ethnologue Claude Lévi Strauss, dans la continuité de Darwin, récuse la séparation de l’homme avec le reste de la création. Il considère que l’homme a malheureusement oublié qu’il est un être vivant parmi d’autres êtres vivants. « Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, écrit Lévi Strauss dans son Anthropologie structurale, l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il refusait à l’autre, il ouvrait un cercle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion2 ».

Pour Darwin, les différences entre l’homme et l’animal sont seulement de degré et de diversité et non de nature. C’est pourquoi il estime essentiel de se préoccuper du bien-être et du respect des animaux. Il affirme que « l’humanité envers les animaux inférieurs est l’une des plus nobles vertus dont l’homme s’est doté, et il s’agit du dernier stade du développement des sentiments moraux. C’est seulement lorsque nous nous préoccupons de la totalité des êtres sensibles que notre moralité atteint son plus haut niveau3. »

Contemporain de Darwin, l’entomologiste Jean Henri Fabre affirmait lui aussi : « L’animal bâti comme nous, souffre comme nous, trop souvent victime de nos brutalités. Celui qui sans motif fait souffrir les bêtes commet une action barbare je dirais volontiers « inhumaine » car il torture une chair, soeur de la nôtre, il brutalise un corps qui partage avec nous le même mécanisme de la vie, la même aptitude à la douleur ».

L’animal « automate de chair » ?

L’orgueil anthropocentrique qui refuse d’inscrire l’homme dans la continuité de l’évolution des animaux, considérant que cela revient à faire injure à la dignité humaine car on s’attaque ainsi à son incommensurable supériorité, s’enracine dans la tradition philosophique occidentale qui, avec Descartes, considère que les animaux n’étaient que des « automates de chair ». « La tradition philosophique, écrit Elisabeth de Fontenay, avec l’aide et même sans l’aide de la théologie porte une lourde responsabilité dans l’abaissement et la maltraitance des animaux. »

Pour Descartes, les animaux ne souffrent pas car ce ne sont pas des êtres conscients. Juste une horlogerie bien élaborée ! Pour lui, l’animal est une machine dépourvue de raison et de sensation par opposition bien entendu à l’homme pensant doué d’une âme. Les conséquences de ses théories auront été de couper l’homme de la nature, de ses origines et de faire des animaux des choses.

Schopenhauer (1788-1860), philosophe allemand, défend la thèse inverse de Descartes et conteste la vision judéo-chrétienne de l’animal. Influencé par les textes de sagesse indienne et bouddhiste, il reproche aux Occidentaux d’avoir réduit l’animal au rang d’objet. Selon lui, il n’y a pas de différence absolue et irréductible entre l’homme et l’animal. « Les bêtes, affirme-t-il, ont bien conscience de leur moi et l’opposent bien au monde, au non-moi ». Elle ne sauraient donc être traitées comme des choses. Et c’est pourquoi il refuse tout anthropocentrisme qui permet de justifier la domination de l’homme sur les bêtes.

Le spécisme

Par analogie avec le racisme et le sexisme, le spécisme désigne l’attitude qui consiste à refuser indûment le respect de la vie, de la dignité et des besoins des animaux appartenant à d’autres espèces que l’espèce humaine ». Peter Singer le caractérise comme étant « un préjugé ou une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et qui va à l’encontre des intérêts des membres des autres espèces4. »

Le terme a été créé en 1970 par Richard Ryder, psychologue, pour attirer l’attention sur le fait que notre attitude à l’égard des animaux procède de la même mentalité que le racisme et le sexisme. Il explique sa démarche : « Depuis Darwin, les scientifiques admettent qu’il n’y a aucune différence essentielle, « magique », entre les humains et les autres animaux, biologiquement parlant. Pourquoi, dès lors, faisons-nous moralement une distinction radicale ? Si tous les organismes procèdent d’un seul continuum biologique, nous devrions aussi procéder de ce même continuum5« .

Considérer un animal comme une « machine à faire des saucisses » relève d’une démarche qui assimile l’animal à une matière première, à un objet. Assimiler des animaux à des objets facilite évidemment le travail de ceux qui les font souffrir à longueur de journée ; cette démarche leur permet de se convaincre que ceux sur lesquels ils commettent leurs atrocité ne sont pas des êtres sensibles et tend à les déculpabiliser.

Le massacre industriel des animaux, le zoocide

Il y a des chiffres qui sont éloquents et que l’on ne peut passer sous silence. Chaque minute dans le monde, 5 chevaux, 22 chiens, 400 veaux, et vaches, 700 moutons, 930 dindes, 1 700 cochons, 3000 canards et plus de 60 000 poulets sont abattus pour la consommation humaine. Et durant cette même minute, plus de 120 000 animaux marins vont périr dans les filets de pêche.

Chaque année dans le monde, 60 milliards d’animaux terrestres et 1 000 milliards d’animaux marins sont tués.

Nous parlons de zoocide lorsque des animaux sont systématiquement mis à mort en grand nombre. Le zoocide ne peut être mis sur le même plan que le génocide des humains, les différences sont essentielles, mais il existe des points communs qu’il est impossible de passer sous silence.

Les premières personnes qui ont été frappées par un certain nombre de points communs entre l’holocauste et le massacre industriel des animaux ont été les victimes de ce génocide, des survivants ou des personnes qui avaient perdu leurs parents. Lorsqu’elles ont été confrontées à la réalité des abattoirs, elles ont été frappées par les similitudes entre le fonctionnement des camps et celui de l’élevage industriel : l’organisation méthodique de la tuerie, la dévalorisation de la vie d’autres êtres et enfin l’ignorance dont font preuve les populations environnantes.

Isaac Bashevis Singer, prix Nobel de littérature, dont la mère et plusieurs membres de sa famille furent exterminées en Pologne affirme dans son ouvrage Le pénitent : « le traitement qu’inflige l’homme aux créatures de Dieu ridiculise tous ses idéaux et son soi-disant humanisme ». Le personnage de l’une de ses nouvelles parle dans la tête à un animal mort : « Que savent-ils, tous ces érudits, tous ces philosophes, tous les dirigeants de la planète, que savent-ils de quelqu’un comme toi ? Ils se sont persuadé que l’homme, l’espèce la plus pécheresse entre toutes, est au sommet de la création. Toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des fourrures, pour n’être que martyrisées, exterminées. Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour des animaux, c’est un éternel Treblinka. »

Pas de comparaison, mais des analogies : La comparaison vise à mettre en évidence des différences et des ressemblances entre des objets, c’est une activité comptable, une mise en balance. L’analogie au contraire est un exercice de l’imagination qui vise à rapprocher des objets pensés a priori comme très différents.

A Treblinka, 875 000 personnes furent exterminées et 67 seulement survécurent. Dans le cas des animaux, les humains ne désirent pas de « solution finale ». Ils veulent pouvoir continuer, aussi longtemps que possible, et renouveler chaque année la tuerie de 60 milliards d’animaux terrestres et 1 000 milliards d’animaux marins. Le zoocide est un éternel recommencement…

« Le processus industriel de productions animales participe d’une déconstruction, explique Jocelyne Porcher, directrice de recherche à l’INRA de Montpellier. Il vise à déconstruire l’animal, à le « désanimaliser » et à en faire une chose. Les productions animales sont une monstrueuse machine à fabriquer des choses. […] Mais cette entreprise est vouée à l’échec. Les animaux résistent et persistent à être des animaux et non des choses. En revanche, nous perdons notre sensibilité et notre humanité6« .

La perpétuation de la tuerie en masse pose donc un défi majeur à l’intégrité et à la cohérence éthique des sociétés humaines.

Une souffrance ignorée, une mise à distance physique et mentale

La maltraitance à l’égard des animaux reste le plus souvent ignorée, tolérée voire approuvée. L’écrasante majorité des mauvais traitements sont infligés aux animaux loin des regards, dans des entreprises de production industrielle et dans les abattoirs. L’industrie agroalimentaire exerce une censure tacite, mais hermétique s’assurant qu’aucune image choquante ne sorte de ses enceintes de torture. Tout a été fait au long de notre histoire pour que s’installe une distance entre l’homme et le massacre en masse des animaux destinés à notre consommation.

Tout est fait pour que le consommateur soit tenu dans l’ignorance. Des efforts considérables sont consentis pour dissimuler au grand public ce qui se passe dans les élevages de masse et dans les abattoirs, car ils savent que la demande des consommateurs baisseraient inévitablement et spectaculairement s’ils en avaient connaissance.

Tout est fait pour que n’ayons pas à nous poser de questions embarrassantes, tout est fait pour que nous ne prenions pas conscience de la gravité du problème animal. : « L’amnésie constitutive de la réalité, écrit Elisabeth de Fontenay, qui est celle de nos pratiques ordinaires et la cruauté quotidienne dont il s’agit dès lors portent un nom tout simple : l’indifférence. Nous ne sommes pas sanguinaire et sadiques, nous sommes indifférents, passifs, blasés, détachés, insouciants, blindés, vaguement complices, plein de bonne conscience humaniste et rendus tels par la collusion implacable de la culture monothéiste, de la technoscience et des impératifs économiques. Encore une fois, le fait de ne pas savoir ce que d’autres font pour nous, de ne pas être informés, loin de constituer une excuse, représente une circonstance aggravante pour les êtres doués de conscience, de remémoration, d’imagination et de responsabilité qu’à juste titre nous prétendons être7« .

Tout est fait pour que nous ne nous sentions pas coupables de l’acte de tuer et de consommer. Aujourd’hui, un morceau aseptisé et informe de la bête sous cellophane vendu dans les rayons de supermarché nous fait ignorer tout ce qui précède, sa vie d’être vivant autant que les conditions de sa mort. On peut donc consommer sa chair sans se sentir honteux.

Entre l’abattoir et la boucherie, l’animal devient viande. La poule devient poulet, la vache devient bœuf, les viscères deviennent abats, le cadavre devient carcasse… Toute la dimension sensible de l’animal est évacuée afin que l’on oublie que derrière le cellophane se cache ce qu’il reste d’une vie.

L’animal, un être sensible

L’animal est bien un être sensible, capable d’émotion et de souffrance. « Si l’animal n’a pas de visage, il a un regard, écrit Jean Marie Muller. Et par la rencontre de ce regard, l’homme ne peut pas ne pas comprendre que l’animal n’est pas une simple machine, un simple mécanisme, mais un être vivant qui a son mystère8 ». « L’expérience du regard, écrit Florence Burgat, impose l’interdit de tuer ».

Dans l’ouvrage Libération animale (1975), Peter Singer soutient que c’est la sensibilité, l’aptitude à souffrir qui doit être prise en considération pour déterminer la manière dont nous traitons les êtres : « si un être souffre, il ne peut y avoir aucune justification morale pour refuser de prendre en considération cette souffrance. Quelle que soit la nature d’un être, le principe d’égalité exige que sa souffrance soit prise en compte de façon égale avec toute souffrance semblable9« .

Le seul fait qui devrait guider nos choix est que tous les êtres conscients éprouvent le désir naturel de vivre et de ne pas souffrir. « La résistance que les animaux opposent à leur saisie, écrit Florence Burgat, appartient pleinement à la lutte pour la reconnaissance du droit le plus fondamental : le droit à poursuivre sa vie. L’animal qui résiste à la prise manifeste son désir de vivre, de ne pas être capturé, tourmenté, blessé, enfermé, attaché ou tué. Tout être qui lutte, par les moyens qui sont les siens, exprime de fait la volonté de se voir reconnaître un droit à vivre10« .

Le devoir de respect envers l’animal

Tout en reconnaissant les nombreuses différences qui existent entre les humains et les espèces animales, Peter Singer défend le principe d’égale considération de leurs intérêts. Il pose comme argument principal que, sauf nécessité absolue, il est injustifiable d’infliger des souffrances à un autre être vivant, qu’il appartienne ou non à notre propre espèce. « Si un être souffre, affirme Peter Singer, il ne peut y avoir aucune justification morale pour refuser de prendre en considération cette souffrance. Quelle que soit la nature d’un être, le principe d’égalité exige que sa souffrance soit prise en compte de façon égale avec toute souffrance semblable11. »

En dépit des inégalités indéniables entre les êtres humains et les animaux (sur le plan des capacités physiques et intellectuelles), nous devons accorder à tous une égalité de considération. Il faut bien comprendre, précise Singer, qu’une considération égale pour des êtres différents peut mener à des traitements et à des droits différents. En effet, les êtres humains et non humains n’ont pas besoin d’avoir les mêmes droits en toute chose.

La différence entre eux et nous, qui permet de renforcer l’idée que nous avons des devoirs envers les animaux, est la différence entre agents moraux et patients moraux. Les agents moraux sont ceux qui sont capables de distinguer le bien du mal et de décider de faire ou de ne pas faire ce que leur dicte la moralité telle qu’ils la conçoivent. On considère donc qu’ils sont responsables de leurs actions. Les patients moraux sont ceux qui ne font que subir, de la part des agents moraux, des actions bonnes ou mauvaises, mais sont eux mêmes incapables de formuler des principes moraux et de délibérer sur le bien-fondé de leurs actes avant de les mettre à exécution.

C’est pourquoi nous avons une responsabilité particulière à l’égard des animaux en tant que patients moraux. La manière dont nous les traitons peut faire l’objet d’une évaluation morale, caractérisée de plus ou moins bonne. C’est là le domaine de l’éthique animale.

Ainsi, cette distinction permet aux agents moraux de prendre conscience des devoirs qu’ils ont envers les patients moraux. Il leur incombe en effet de faire preuve de sollicitude à l’égard de ceux qui n’ont pas la capacité de formuler et de faire valoir leurs droits, notamment le droit à vivre et à ne pas souffrir. Il est également important que les lois traduisent en actes cette responsabilité et ces devoirs. On pourrait dire que plus un patient moral est démuni et sans défense, plus les agents moraux ont des devoirs de protection et de soin envers lui. Le degré de vulnérabilité inhérent au patient moral étant proportionnel à l’exigence de protection.

La valeur des animaux n’est donc pas réductible à leur utilité pour le genre humain. Pour reprendre la formule de Kant, il s’agit de ne pas traiter les animaux comme des instruments à notre service, de ne pas en faire un simple moyen au service d’une fin. Il s’agit de les respecter pour ce qu’ils sont, des patients moraux. Ainsi, le philosophe américain Tom Regan défend le droit des animaux à être respectés parce qu’ils possèdent une valeur intrinsèque. Beaucoup d’animaux non humains sont, tout comme les humains, des êtres psychologiques, ayant une expérience propre de bien-être. En ce sens, eux et nous sommes semblables.

C’est pourquoi, à ce stade, nombreux aujourd’hui sont ceux qui s’accordent sur un point de consensus défini de la façon suivante : nous ne devrions pas infliger de souffrances aux animaux lorsque ce n’est pas nécessaire. Il s’ensuit qu’il n’est pas moralement acceptable d’envoyer des animaux à l’abattoir pour en faire des cheese-burgers car ce n’est absolument pas nécessaire et vital à la survie de l’homme. Dans un essai collectif, Ryder écrit : « Si nous acceptons comme moralement inacceptable de faire souffrir délibérément des êtres humains innocents, alors il est logique de trouver inacceptable de faire souffrir délibérément des êtres innocents appartenant à d’autres espèces. Le temps est venu d’agir conformément à cette logique12« .

Nous avons donc un devoir de respect envers l’animal. Pour lui-même, et pour nous mêmes. Pour Tom Regan, « les animaux sont le sujet d’une vie » et « ils sont titulaires de droits même s’ils ne le savent pas ». Ils ont le droit d’être protégés et il appartient aux hommes et à eux seuls de les protéger. Au même tire qu’un bébé ou une personne dans le coma, nous devons les respecter et reconnaître leur dignité morale sans attendre la réciproque.

La non-violence et le respect de l’animal

La compassion n’a pas de limites. Elle n’est pas réservée aux seuls être humains. La compassion concerne toutes les souffrances et donc tous ceux qui souffrent, humains et animaux. Celui qui est empreint de véritables compassion ne peut pas infliger de souffrances à d’autres êtres sensibles. « Une compassion sans bornes qui nous unit avec tous les êtres vivants, écrit Schopenhauer, voilà le plus solide, le plus sûr garant de la moralité. Avec elle, il n’est pas besoin de casuistique. Qui la possède sera bien incapable de causer du dommage à personne, de violenter personne, de faire du mal à qui que ce soit : mais plutôt, pour tous il aura de l’indulgence, il pardonnera, il aidera de toutes ses forces, et chacune de ses actions sera marquée au coin de la justice et de la charité. »

La démarche de la non-violence en tant qu’ « absence de malveillance envers tout ce qui vit et bienveillance envers tout ce qui vit », selon la définition de Gandhi, nous invite à élargir notre regard au monde animal que nous avons méprisés jusqu’ici.

Ma conviction est qu’il n’y aura pas d’avancée significative en direction d’une culture de non-violence si nous n’incluons pas l’animal dans notre démarche. Si nous ne changeons notre regard et nos pratiques en direction du monde animal. Si nos modes de consommation, basés sur le meurtre de l’animal, le meurtre de masse, ne changent pas, il n’y aura pas, fondamentalement, de changement dans la culture de la violence qui est dominante.

Je suis persuadé que le respect envers l’animal jusque dans l’assiette, n’est pas une démarche à la marge, mais une démarche centrale de la démarche de non-violence car il serait contradictoire d’afficher une exigence de non-violence envers les autres hommes et de fermer les yeux sur nos complicités avec le meurtre de l’animal, cet être vivant, cet être sensible.

La facilité avec laquelle l’homme accepte de dominer, d’exploiter, de maltraiter, de brutaliser et de tuer l’animal n’est pas sans influencer son comportement envers l’autre homme. Pour mieux justifier ses violences à l’encontre de nos ennemis, nous prétextons que ceux-ci ne méritent pas d’être traités comme des hommes et nous faisons valoir qu’ils ne se comportent pas comme tels. Mais bien qu’ils se comportent comme des animaux, en tout cas selon la représentation que nous nous faisons des animaux.

Il y a bien une concordance entre la légitimation de la tuerie des animaux et la légitimation du meurtre des hommes. Nous déshumanisons notre ennemi pour mieux légitimer nos violences à son encontre. Et le déshumaniser revient à dire qu’il se conduit comme une bête, c’est à dire à une race inférieure à la nôtre. « Le respect envers l’animal ne contrarie pas le respect envers l’homme, mais il le fortifie, écrit Jean-Marie Muller ».  Le respect de l’animalité est une condition du respect de l’humanité.

La compassion pour les animaux est si intimement liée à la bonté que l’on peut dire que quiconque est cruel envers les animaux ne peut être un homme bon. (Schopenhauer)

Si tous les hommes doivent être heureux un jour sur la terre, soyez convaincus que toutes les bêtes seront heureuses avec eux. Notre sort commun devant la douleur ne saurait être séparé, c’est la vie universelle qu’il s’agit de sauver du plus de souffrance possible. (Emile Zola)

1 La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Reinwald, Libraire-éditeur, 1891

2Claude Lévy Strauss, Anthropologie structurale, Plon, 1958.

3Ibid

4Peter Singer, Libération animale (1975), Payot, 2012.

5Richard Ryder, Speciesism, 1970

6Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux, une utopie pour le XXIème siècle, La Découverte, 2011

7 Sans offenser le genre humain, réflexions sur la cause animale, Albin Michel, 2008, p. 205.

8Jean Marie Muller, Le courage de la non-violence, 2001.

9Peter Singer, Libération animale (1975), Payot, 2012, p.39.

10Florence Burgat, Une autre existence : la condition animale, Albin Michel, 2012

11Ibid

12Richard Ryder, Animals, men and morals, 1971.

3 réflexions au sujet de « Le respect de l’animal, un enjeu de civilisation »

  1. lovelittlemeblog

    Je ne me lasse pas de lire vos articles, bien au contraire ! Celui-ci est particulièrement cher à mes convictions et à ma philosophie de vie. Etant végétarienne, mon empathie envers le monde animal est bien réel et mon cœur souffre au quotidien du sort que lui réserve l’homme. Merci pour votre article empreint d’humanisme.

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  2. CAZOTTES Jean-Marc

    Salut Alain,
    c’est avec un grand plaisir que je viens de lire ton texte.
    C’est, du moins pour moi, poser la question fondamentale de l’anthropocentrisme comme fondement métaphysique de notre civilisation. Celle, que certains qualifient d’occidentale, et que personnellement je continue d’appeler judéo-gréco-chrétienne, qui pose comme primat la rupture ontique au sein du monde du vivant: seul l’homme bénéficierait du dualisme corps-esprit ce qui en ferait un « étant » différent et supérieur aux autres « étants » de la nature. Des hébreux, à partir de la Torah, en passant par les Grecs de l’Antiquité , avec Aristote et sa conception hiérarchique des entités de la nature (minéraux, végétaux, animaux, hommes) et les philosophes à partir des Lumières -Descartes, Kant- ainsi que les grands courants philosophiques du XXième siècle – phénoménologie, néokantisme, existentialisme- c’est toujours et encore le même postulat : l’anthropocentrisme de la rupture ontique fondement de la civilisation.
    Avec Lévi-Strauss, comme tu l’écris, nous avons appris que, ailleurs, pour d’autres civilisations, cette rupture ontique n’existe pas et le dualisme ontologique (les deux modalités d’être : réalité matérielle et réalité spirituelle) ne concerne pas que l’homme mais bien l’ensemble des entités constitutives du monde vivant. Il n’y a pas au sein de la nature une hiérarchie quelconque entre ses diverses composantes. Quelques penseurs – Spinoza le matérialiste et Darwin l’évolutionniste notamment – avaient déjà ouvert la voie sur la question de l’anthropocentrisme.
    L’humanisme des Lumières n’a pas remis en cause l’anthropocentrisme comme primat civilisationnel et s’est donné un concept, le progrès, un savoir, la science, et un outil, la technique, pour la mise en marche du monde. Aujourd’hui nous ne pouvons que faire le constat que ce fondement métaphysique civilisationnel, l’anthropocentrisme est arrivé à son terme : la crise systémique qui nous touche, crise globale, n’est rien d’autre qu’une crise de civilisation.
    Il ne s’agit pas, du moins pour moi, de faire table rase du passé ; un héritage, même historique, ne peut pas ne pas être assumé. Mais bien de s’appuyer sur les acquis de notre passé pour continuer, à partir de nouvelles bases métaphysiques, à chercher et à espérer trouver des réponses aux questions posées par la situation actuelle de notre planète à l’humanité.
    Et je pense que le combat que tu mènes, le respect de l’animal ainsi que la conversion végétarienne, est une des composantes de ce renouvellement civilisationnel nécessaire pour la sauvegarde même de l’humanité.
    Avec toute ma sympathie.
    A bientôt.
    Jean-Marc

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