Pour une Marseillaise de paix

ob_70a46d_p201picaNombreux sont ceux qui ont déjà souligné l’archaïsme et la cruauté des paroles de notre hymne national. Un chant dans lequel nous sommes invités à pourfendre « ces féroces soldats », cette « horde d’esclaves », ces « tigres sans pitié » et à soutenir « nos bras vengeurs » afin qu' »un sang impur abreuve nos sillons »…

Et pourtant de cérémonies officielles en manifestations sportives, notre pays continue de jouer cette chanson qui à l’origine était un chant de guerre, restant sourd aux étonnements et indignations légitimes qu’il suscite tant en France qu’à l’étranger. 

Je ne rappellerai que les propos du grand Jaurès, qui, en 1903, déclarait en défense des chants révolutionnaires socialistes : «  Je dis que la Marseillaise, la grande Marseillaise de 1792, est toute pleine des idées qu’on dénonce le plus violemment dans L’Internationale. Que signifie, je vous prie, le fameux refrain du « sang impur » ? — « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! », l’expression est atroce. […] Dès que les partis commencent à dire que le sang est impur qui coule dans les veines de leurs adversaires, ils se mettent à le répandre à flots et les révolutions deviennent des boucheries. Mais de quel droit la Révolution flétrissait-elle de ce mot avilissant et barbare tous les peuples, tous les hommes qui combattaient contre elle ? »

La Marseillaise n’est pas seulement un chant de guerre, mais un chant qui véhicule les valeurs de la violence, de la vengeance et de la guerre. Un chant, qui paraît-il, doit être enseigné dans les écoles et même chanté… Depuis Jean-Pierre Chevènement en 1983, tous les ministres de l’Education Nationale, à l’exception de Lionel Jospin et Jack Lang, ont répété, de circulaires en nouveaux programmes, que La Marseillaise était « un symbole de la patrie et de la République », « un élément indispensable de la formation du citoyen » et que « son texte et sa musique devaient être naturellement expliqués, appris et chantés » (directive Chevènement de 1983). La contradiction est si flagrante entre les paroles de haine de l’hymne national et la valeurs portées par l’école que la plupart des enseignants du primaire, fort heureusement et depuis des décennies, ne suit pas sur ce point les recommandations / injonctions contenues dans les programmes d’Education Morale et Civique. Et j’en suis.

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Revue Alternatives non-violentes, mars 2016, « Changeons les paroles de La Marseillaise »

Toutes les tentatives émanant de personnalités et de citoyens pour convaincre les responsables politiques de changer les paroles de La Marseillaise ont jusqu’ici échoué. L’une des plus fameuses fut celle initiée par l’abbé Pierre, en 1992, à l’occasion du bicentenaire du chant composé par Rouget de Lisle. Trois ans auparavant, pour le bicentenaire de la Révolution Française, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, il lançait un appel qui eut alors un grand retentissement : « Changeons en message d’amour les paroles de haine de la Marseillaise ». Cet appel débouchera sur la création de l’association « Pour une Marseillaise de la fraternité » dont l’objectif était de trouver pour l’hymne national, sur l’air de La Marseillaise, des paroles en harmonie avec la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » et de lutter ensemble jusqu’à leur adoption officielle. Cette initiative fut soutenue en son temps par Charles Aznavour, Pierre Bergé, Général Jean Loup Chrétien, Bernard Clavel, René Frydman, Martin Gray, Marek Halter Bernard Lavilliers, Danielle Mitterrand, Patrick Poivre d’Arvor, Eric Tabarly, Haroun Tazieff et de nombreuses autres personnalités.

001342445Dans la préface au livre au titre éponyme de l’association, écrit par Jean Toulat (1992), l’abbé Pierre déclare : « L’heure est venue de donner à la France le message qu’elle mérite et qui mérite d’être entendu dans le monde. Qu’elle mette en valeur notre devise républicaine, ces vraies « trois glorieuses » : Liberté, Egalité, Fraternité. Qu’elle déclare la guerre – la seule qui vaille – à la misère des sans-pain, sans-toit, sans-travail, sans-école et sans-soins. Qu’elle tende la main aux autres peuples, car, on l’a dit, « si la France a besoin de la paix, la paix a besoin de la France ». Qu’elle proclame la solidarité et le partage : notre monde desséché a soif d’amour ». Belles, saines et courageuses paroles, toujours d’actualité.

Je n’ai jamais pu me résoudre à chanter ou à faire chanter les paroles martiales et belliqueuses de La Marseillaise, si à l’opposé de mes convictions, même si je ne suis pas insensible à la musique qui parfois me donne des frissons… Je rejoins absolument l’écrivain Martin Gray (ancien combattant du ghetto de Varsovie et déporté à Tréblinka) qui souhaitait que ce texte soit changé. « Il devrait refléter, écrivait-il, non plus la haine d’un conflit ponctuel, mais l’espoir d’une immortelle harmonie, comme un flambeau de lumière que porteraient les prochaines générations ».

Plusieurs pays ont déjà changé les paroles de leur hymne national. Ainsi la Belgique dont les paroles de La Brabançonne (1830), composée lors de la révolution belge qui aboutit à l’indépendance du pays, ont été changées en 1860 pour les rendre moins violentes. Alors que faire ? S’il paraît difficile de modifier les paroles d’un chant d’auteur composé dans certaines circonstances historiques, la question est bien de chercher un nouvel hymne national, une nouvelle Marseillaise qui, pourquoi pas, pourrait reprendre la même mélodie.

Parmi les « Marseillaises alternatives » existantes, deux au moins méritent d’être connues et chantées. Ces textes reflètent une volonté de paix et de fraternité entre les peuples. Je crois très sincèrement qu’ils correspondent à ce qui devrait être enseigné dans les écoles… et qu’ils pourraient devenir notre nouvel hymne national.

Il paraît qu’il est interdit de chanter sur l’air de La Marseillaise des paroles qui ne seraient pas les paroles officielles… J’offre à mes lecteurs ces deux versions remarquables. La première est La Marseillaise de la Paix, écrite en 1892 par des jeunes de l’orphelinat expérimental de Cempuis (Oise), dirigé par le pédagogue libertaire Paul Robin (1837-1912). La seconde est du chanteur néo-zélandais Graeme Allwright qui a composé en 2005 une nouvelle Marseillaise qu’il interprète à chacun de ses concerts en France.

La Marseillaise de la Paix (1892)
Adaptation Chanson Plus Bifluorée

 

De l’universelle patrie
Puisse venir le jour rêvé
De la paix, de la paix chérie
Le rameau sauveur est levé (bis)
On entendra vers les frontières
Les peuples se tendant les bras
Crier : il n’est plus de soldats !
Soyons unis, nous sommes frères.

Refrain :
Plus d’armes, citoyens !
Rompez vos bataillons !
Chantez, chantons,
Et que la paix
Féconde nos sillons !

Quoi ! d’éternelles représailles
Tiendraient en suspens notre sort !
Quoi, toujours d’horribles batailles
Le pillage, le feu, et la mort (bis)
C’est trop de siècles de souffrances
De haine et de sang répandu !
Humains, quand nous l’aurons voulu
Sonnera notre délivrance !

Refrain

Plus de fusils, plus de cartouches,
Engins maudits et destructeurs !
Plus de cris, plus de chants farouches
Outrageants et provocateurs (bis)
Pour les penseurs, quelle victoire !
De montrer à l’humanité,
De la guerre l’atrocité
Sous l’éclat d’une fausse gloire.

Refrain

Debout, pacifiques cohortes !
Hommes des champs et des cités !
Avec transport ouvrez vos portes
Aux trésors, fruits des libertés (bis)
Que le fer déchire la terre
Et pour ce combat tout d’amour,
En nobles outils de labour
Reforgeons les armes de guerre.

Refrain

En traits de feu par vous lancée
Artistes, poètes, savants
répandez partout la pensée,
L’avenir vous voit triomphants (bis)
Allez, brisez le vieux servage,
Inspirez-nous l’effort vainqueur
Pour la conquête du bonheur
Ce sont les lauriers de notre âge.

Nouvelle Marseillaise (2005)
Graeme Allwright


Pour tous les enfants de la terre

Chantons amour et liberté.
Contre toutes les haines et les guerres
L’étendard d’espoir est levé
L’étendard de justice et de paix.

Pour tous les enfants de la terre
Chantons amour et liberté.
Contre toutes les haines et les guerres
L’étendard d’espoir est levé
L’étendard de justice et de paix.

Refrain
La flamme qui nous éclaire
Traverse les frontières
Partons, partons, amis, solidaires
Marchons vers la lumière.

Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour que notre pays se décide à adopter un hymne national enfin conforme aux valeurs universelles qu’il prétend défendre ?

7 réflexions au sujet de « Pour une Marseillaise de paix »

  1. Michel LETERRIER

    Oui, « y en a marre » de ce chant guerrier, d’un autre temps, sanguinaire et violent, dont toutes les institutions, partis politiques et autres organisations sociales continuent, au fil de leur manifestations et représentations, à s’en emparer, tel un étendard, tel un trophée.
    On oublie trop souvent que la pensée s’organise en formes-pensées, générant leur propre énergie, manifestant dans l’univers physique ses contenus.
    Il est temps qu’un nouveau verbe vienne y couler paix et douceur, pour y nourrir un horizon de justice, d’équité et de partage.
    Le ministère de l’Education nationale devrait être en charge d’un programme de transformation progressive de ce chant. Ce pourrait être un bon et vrai challenge !

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    1. emdupont

      On est tous convaincus !
      Mais qui prendra l’initiative d’une adaptation plus humaine ?
      Pourquoi ne pas aligner tous les Européens (tant qu’il en reste) sur le chœur final de la neuvième symphonie de Beethoven : l’hymne à la joie ?’

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  2. Anne-Marie Codur

    Merci pour votre blog Alain, je voulais vous signaler que nous sommes nombreux dans les collectifs « Pouvoir Citoyen en Marche! » , ainsi que dans le mouvement convivialiste (Alain Caillé) et dans les Dialogues en humanité (Edgar Morin, Patrick Viveret,….) à avoir choisi une marseillaise alternative que nous avons chantée pour la première fois dans les rues de Paris le 11 janvier 2015… ainsi qu’au moment du lancement du Serment de Paris le 12 décembre 2015 à la fin de la COP21
    https://www.facebook.com/sermentdeparis/videos

    en voici les paroles (qui réunissent des vers d’autres marseillaises alternatives ainsi que des vers originaux, écrits par Anne-Marie Codur et édités par un collectif des Dialogues en humanité):

    Allons Enfants venant du Monde entier
    Célébrons la Fraternité!
    Contre les peurs, contre les haines
    L’étendard d’espoir est levé,
    L’étendard de justice et de paix!
    Plus de guerres, plus de sang versé
    Plus une goutte dans nos sillons
    L’amour lui seul peut abreuver
    Notre Monde qui a la fièvre

    (Refrain x2)
    Osons chanter l’amour
    Osons danser la paix
    Chantons, Dansons
    Ce chant d’espoir
    Pour toute l’humanité!
    Citoyens de la Terre
    Ensemble et solidaires
    Chantons Dansons
    Ce chant d’espoir
    Pour toute l’humanité!

    Allons enfants de la Planè-ète
    L’ère de paix est arrivée
    Qu’aucune peur ne nous arrête
    Pour cultiver la Liberté
    L’Egalité, La Fraternité!
    Semons des fleurs sur les frontières
    Nos cœurs et nos mains enlacés
    Nous marcherons vers la lumière
    Dans l’espoir d’un Monde à réinventer

    Osons chanter l’amour
    Osons danser la paix
    Chantons, Dansons
    Ce chant d’espoir
    Pour toute l’humanité!
    Citoyens de la Terre
    Ensemble et solidaires
    Chantons Dansons
    Ce chant d’espoir
    Pour toute l’humanité!

    A nos enfants, nous faisons le serment
    De protéger notre Planète
    Ses trésors donnés gratuitement
    Jamais plus nous n’ les pillerons
    Et sa beauté nous préserverons
    Pour que tous les enfants du Monde
    Puissent toujours s’émerveiller
    De ses forêts de ses glaciers
    Et boir’ l’eau claire et pure à la source…

    Citoyens de la Terre
    Ensemble et solidaires
    Chantons Dansons
    Ce chant d’espoir
    Pour toute l’humanité!
    Citoyens de la Terre
    Ensemble et solidaires
    Chantons Dansons
    Ce chant d’espoir
    Pour toute l’humanité!

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  3. emdupont

    Voici le billet de cette semaine de Michel Dagras:
    Puisse venir le jour où tous ceux qui pensent comme lui, comme toi, comme nous, se rejoindront et… seront entendus.
    Hélène

    BASTILLES ET MARSEILLAISES !

    Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! La liaison phonétique me fit croire, enfant, que la vindicte républicaine visait une horde sauvage composée d’atroces kimpurs, venus chez nous égorger des femmes et des enfants ! Au fil des ans ces paroles m’ont paru bien difficiles à accorder avec les Droits de l’Homme chers à notre République … sauf dans les tribunes d’un stade pour soutenir et encourager onze ou quinze citoyens en quête de victoire, sur un terrain dépourvu tout de même de sillons à abreuver du sang de l’adversaire ! Encore qu’en rugby des joueurs vénus des antipodes lancent et chorégraphient d’impressionnants hakas suivant en cela une tradition de vindicte tribale qui n’a rien à envier à celle de notre Marseillaise. Aussi, sur un tempo plus enlevé et une gesticulation adéquate, nous pourrions-nous, à l’usage des supporters, transformer l’hymne national en superbe haka gaulois. Son exécution combative pourrait même faire rentrer la langue que tirent les néo-zélandais pour conclure leur impressionnant rituel sportif.
    Reste que l’impératif Allons ! lancé avec enthousiasme aux enfants de la Patrie mériterait aujourd’hui une suite moins barbare… Mais les symboles sont ainsi. Ce qu’ils signifient est à reconnaître au-delà de lectures ou de perceptions immédiates … sauf à souffrir d’une déplorable myopie intégriste !. Le 14 juillet 1789 ne libérait en effet de la vieille Bastille que sept taulards sans envergure. Mais l’événement a pris la force d’une évocation majeure, celle de la liberté conquise de haute lutte contre les tyrannies qui la bafouent, la musellent, la piétinent. Depuis, d’autres forteresses ont pris le relais de la première Bastille. Visibles ou sournoises, elles emprisonnent des droit humains. Économiques et financières, idéologiques et guerrières, elles oppriment des innocents, pénalisent des pauvres, cadenassent des espérances … On aimerait les voir tomber pour de bon et s’assurer qu’elles ne ressurgiront plus, sous d’autres formes, toujours prédatrice des personnes et des sociétés.
    Vingt jours séparèrent la Prise de la Bastille de l’abolition des privilèges. Autre symbole, autre utopie ? De nouvelles aristocraties, drapées des atours de la démocratie, reprennent en effet régulièrement le haut du pavé. Elles toisent de haut le vulgum pecus qui les élit tout en épiant et cultivant ses intentions de vote. Mais ne généralisons pas. Tous les aristocrates d’antan n’étaient pas sans noblesse d’esprit et de cœur. Tous les responsables et les élus d’aujourd’hui ne sont pas dépourvus d’esprit de service et de souci du bien commun. N’empêche, de nouveaux privilèges se poussent toujours des coudes et la lutte pour les abolir peine à a de beaux jours devant elle !.
    D’autres bastilles, personnelles, se construisent encore au ciment de préjugés, de manques de courage, de perte d’esprit de service, de peurs d’être soi-même … Leurs prisonniers sont capables de chanter des marseillaises à la gloire de vertus laïques et républicaines tout en restant recroquevillés sur leurs avantages à respirer l’air confiné de leurs cachots plutôt que celui du grand large. Multiples replis derrière les écrans de positions sociales, professionnelles et de pouvoirs jalousement gardés sous les verrous de postures égocentriques..
    Quel sens donner alors au défilé de ce 14 juillet ? Celui du retour sur un passé mythique, sur l’air incantatoire de musiques militaires ? Ou celui d’une prise de conscience que des libertés sont toujours à conquérir et à défendre, y compris en soi-même ?

    dagras.michel@neuf.fr

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