11 novembre : les fusillés pour l’exemple doivent être réhabilités !

critique-les-sentiers-de-la-gloire-kubrick1Pendant la première guerre mondiale, on estime que plus de 650 soldats français ont été passés par les armes par la hiérarchie militaire. Le code militaire de l’époque était très clair : l’abandon de poste en présence de l’ennemi, le refus d’obéissance, la voie de faits sur supérieur et la révolte ou mutinerie étaient passibles de la peine capitale. En général, l’instruction était bâclée et un conseil de guerre rapidement réuni prononçait la terrible sentence sans que l’accusé ait pu se défendre. La plupart des exécutions ont eu lieu au tout début de la guerre : 206 d’août à décembre 1914, 296 pour toute l’année 1915, 136 en 1916, 89 en 1917, 14 en 1918. Mais lors des grandes mutineries de 1917 impliquant plusieurs dizaines de milliers de militaires, « seulement » une trentaine de soldats furent fusillés.

Ces hommes n’étaient pas des lâches, c’étaient d’abord des hommes qui souffraient atrocement. Dans le carnage quotidien qui engloutissait chaque jour des milliers de jeunes hommes, sous les obus et la mitraille, ils avaient décidé de ne plus en être. De dire non à un commandement militaire incompétent aux ordres absurdes et révoltants. Quoiqu’il leur en coûte. Ils sont morts pour une certaine idée de l’humanité, cette même humanité qui était en perdition dans l’horreur des tranchées et des combats. Et ils ont été exécutés au nom d’une justice militaire implacable, inhumaine, barbare. Leur tragique histoire, immortalisée par le film « Les sentiers de la gloire » (1957) de Stanley Kubrick (qui fut interdit en France pendant près de 20 ans), ne peut laisser personne indifférent.

La mort de ces hommes, dans ces conditions, c’est « une injustice flagrante qui n’a jamais été réparée », s’insurge Jean Claude Flament, auteur de plusieurs livres sur cette tache noire de notre histoire. Son dernier ouvrage, « Fusillés pour l’exemple : un déni de l’histoire ou un lobby militaire », dénonce la difficulté de l’institution militaire à reconnaître ses fautes. Aujourd’hui, il considère que l’espoir de voir les fusillés retrouver leur honneur s’amenuise considérablement au fil des ans. Pourtant, quelques signes sur le terrain politique, ces dernières années, ont pu laisser croire que le dossier allait enfin se débloquer.

Discours officiels et initiative parlementaire avortée

Ainsi, le 5 novembre 1998, à Craonne, haut lieu de la contestation militaire en 1917, Lionel Jospin, alors Premier ministre, s’exprime sur la question des soldats de la 1ère guerre mondiale « fusillés pour l’exemple ». Il rompt un silence de plus de 80 ans sur un sujet quasi tabou dans notre pays. Il exprimait son souhait que ces « victimes d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. » Cette déclaration avait déclenché une polémique, et le président de la République Jacques Chirac l’avait jugée « inopportune ».

Dix ans plus tard, en 2008, Nicolas Sarkozy avait eu des paroles surprenantes à Douaummont en affirmant publiquement que « beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches mais que, simplement, ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. » Ces propos étaient bien ceux d’un Président de la République ! Le 11 novembre 2011, il revenait à la charge en déclarant que « tous furent des héros, même ceux qui, après avoir affronté avec un courage inouï, les plus terribles épreuves, refusèrent un jour d’avancer parce qu’ils n’en pouvaient plus « . Ces paroles fortes, étonnamment, passèrent alors inaperçues…

En janvier 2012, à l’initiative de plusieurs députés du Front de gauche, une proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 était déposée avec un article unique : « Les « Fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 et la mention « Mort pour la France » leur est accordée. » Examiné par le Sénat en juin 2014, le texte a été rejeté. Le ministre chargé des anciens combattants, Kader Arif, avait émis un avis négatif à l’adoption de cette loi, en faisant savoir que ces soldats ne sauraient se voir attribuer la mention « Morts pour la France »…

La commission Prost

Pendant la campagne des présidentielles, François Hollande avait pris deux engagements : qu’une place soit accordée à l’histoire des fusillés au musée de l’Armée aux Invalides et que les dossiers des conseils de guerre soient numérisés et disponibles. Ces deux engagements ont été tenus. Ils constituent un premier pas, un début de reconnaissance, mais convenons-en, nous sommes encore loin d’une véritable réhabilitation.

En 2013, Antoine Prost, président du Conseil scientifique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, était chargé, par Kader Arif, ministre délégué aux anciens combattants, de coordonner la rédaction d’un rapport devant présenter un état des lieux complet sur le sujet. Ce rapport, intitulé  » Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ? un point de vue historien  » a été remis au ministre le 1er octobre 2013. Le rapport, sans se prononcer, propose quatre pistes pour le gouvernement :

  • ne rien faire parait difficile, car il faut pouvoir répondre aux demandes des familles.
  • réhabiliter tous les fusillés en attribuant à tous la mention « morts pour la France » et en inscrivant leurs noms sur les monuments aux morts : ce serait périlleux, car certains fusillés étaient bel et bien coupables de crimes de droit commun.
  • réhabiliter au cas par cas nécessiterait un long travail d’investigation et poserait d’importants problèmes juridiques sur les règles de droit à appliquer. En revanche, l’inscription, à la demande des familles, des noms des fusillés sur les monuments aux morts pourrait être envisagée.
  • enfin, dernière proposition, une déclaration solennelle renforcée par un projet pédagogique.
Le gouvernement, à ce jour, n’a pas choisi entre ces différentes options, les seules initiatives prises étant celles mentionnées plus haut. Le 11 novembre 2015 verra-t-il le gouvernement faire des annonces ?


L’opinion publique est prête

Réhabiliter les fusillés pour l’exemple, ce n’est pas seulement redonner honneur à ces oubliés de l’histoire. C’est aussi tirer les leçons du passé. « Tout au long de notre histoire, analyse Julien Carboni, délégué régional de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) en PACA, les guerres sont une constante dans l’action des gouvernements. Les sombres tâches qu’elles laissent dans le passé doivent être révélées au présent pour ne pas oublier l’horreur de la violence organisée, le désastre qui fait de l’homme un outil pour cette violence et qui renonce à le considérer comme un citoyen avec des droits. » La culture de violence et de la guerre qui domine encore nos civilisations montre que toutes les leçons n’ont pas été tirées de l’immense carnage de 1914-1918. Le combat pour la paix est d’abord un combat pour la justice avec des moyens justes et pacifiques. Jamais la guerre ne construit, toujours elle détruit. La paix ne pourra être durable et réelle tant que nous vivrons dans une culture qui honore les armes et les faits guerriers.

Plusieurs associations militent depuis longtemps pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. En premier lieu, La Ligue des Droits de l’Homme dont c’est l’un des deux grands combats historiques avec l’affaire Dreyfus. Mais aussi La Libre Pensée qui se bat depuis des années pour une « réhabilitation collective », et non pas au cas par cas comme cela est parfois évoqué. Ulcérée par la tiédeur de François Hollande sur cette question, La Libre Pensée rappelle notamment que plus de 2 000 Conseils municipaux se sont prononcés pour la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple. Ainsi que plusieurs Conseils Généraux dont celui de la Corrèze présidé en son temps par… François Hollande. Signe qu’il ne s’agit plus d’un sujet tabou et que les esprits sont prêts pour une réhabilitation de ces soldats mutins, « morts par la France ».

L’opinion publique française est prête. Un sondage IFOP de novembre 2013 pour le journal L’Humanité indiquait que 75% des Français étaient favorables à une réhabilitation des soldats français qui avaient refusé d’aller au combat, abandonné leur poste ou qui s’étaient mutinés. Il est important de rappeler que des réhabilitations partielles ont eu lieu dans l’entre-deux guerres, elles ont concerné une quarantaine de soldats fusillés pour l’exemple. C’est pourquoi aujourd’hui, justice doit être enfin rendue à ces hommes victimes de l’arbitraire militaire, justice doit être rendue à leurs familles dont beaucoup ont terriblement souffert de l’opprobre et de la calomnie.

« Le président de la République a le pouvoir de réhabiliter ces victimes du processus de guerre, plaide Julien Carboni. Cela serait un message fraternel pour l’Europe que nous voulons construire, ainsi qu’une grande avancée dans le rapport du pouvoir à la guerre. Une reconnaissance que la conscience humaine est plus forte que l’ordre des armées. » On ne saurait mieux dire.

COMPLEMENTS

La dernière lettre d’Henri Floch, l’un des martyrs de Vingré (Aisne), fusillé pour l’exemple le 4 décembre 1914 et réhabilité par la Cour de cassation le 29 janvier 1921.

« Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé. Voici pourquoi : le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi. Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre…
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon. Je vais me confesser à l’instant, et espère te revoir dans un monde meilleur. Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité. Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout ».

1916 : fusillé pour l’exemple. Verdun, mai 1916…
Clip de la chanson 1916 extraite de l’album « Petite annonce » de Jilber.
Avec Elise Chompret au chant et Martial Robillard aux guitares.

 

3 réflexions au sujet de « 11 novembre : les fusillés pour l’exemple doivent être réhabilités ! »

  1. Ping : 11 novembre : « la commémoration de la sottise et du crime », et de la servitude volontaire… – Blog d'Alain Refalo

  2. CHERASSE Jean, alias Vingtras

    L’affaire des « fusillés pour l’exemple » est une ignominie et on ne peut décemment commémorer le centenaire de 14/18 sans les réhabiliter officiellement : le devoir de mémoire est aussi un devoir de justice.

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  3. eric

    rehabiliter les fusillés pour l’exemple, c’est bien, mais quid des haut gradés coupables ?
    aucun général ou autre n’a été inquiété pour le meurtres de milliers de Français qu’ils lançaient par vagues contre les mitrailleuses ennemies, tout en sachant que c’était inutile ! même si certains ont été virés, ils sont partis a la retraite avec honneur et pension !

    ne pourrait on pas juger enfin ces gens et au moins les dégrader de manière posthume ? parce , a ce que je sache, ils ont tous gardé leur grade et leur honneur !
    apprendre que tout se paye un jour ou l’autre pourrait éviter a certain de faire de grosses erreurs.

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